6e petit-déjeuner de P3S
Synthèse de l’intervention du 22 Mars 2016 – Version en fichier PDF
Qualité de Vie au Travail = Qualité du Travail = Performance
Comment les Espaces de Dialogue y Contribuent !
Accueil
- Hervé Naerhuysen Directeur Général du Groupe PROBTP
- Jean-Hubert de Kersabiec Président de P3S
Intervenants :
- Ségolène Journoud Chargée de mission à l’ANACT,
- Hervé Garnier Confédération CFDT en charge notamment de toutes les questions du travail,
- Alain Benlezar ancien responsable corporate d’Air France de la QVT et Personne Qualifié de P3S,
- Olivier Colin Directeur du site Branche Service Courrier Colis, du Groupe La Poste.
Animation et Clôture :
- Christine Lecouteur RH Réseau Groupe La Poste, Présidente de la Commission QVT ANDRH et Administratrice de P3S,
- Jean-Pierre Chaffin Vice-Président de P3S,
Participation de :
- Marie-Thérèse Dugré Psychologue et Présidente Directrice Générale de SOLAREH Inc.
- Marie-Claude Pelletier Présidente de LIVEA Inc.
Christine Lecouteur, responsable des ressources humaines à La Poste, membre de la commission qualité de vie au travail de la ANDRH et Administratrice de P3S.
J’ai le plaisir en votre nom à tous de vous accueillir aujourd’hui pour ce petit-déjeuner centré sur les espaces de dialogue. Avant de commencer, je laisse le soin à chaque intervenant de se présenter.
Ségolène Journoud, chargée de mission à l’ANACT.
Olivier Colin, directeur de la plateforme courrier/colis du Groupe La Poste en région Aquitaine.
Alain Benlezar, ancien responsable corporate d’Air France de la qualité de vie au travail et référent des 44 CHSCT de l’entreprise. Aujourd’hui j’ai pris ma retraite et j’ai monté ma propre entreprise.
Hervé Garnier, secrétaire national à la CFDT et j’ai en charge notamment toutes les questions du travail, à savoir ce qui relève de la durée, de l’organisation, de la santé au travail.
C. Lecouteur : Nous allons parler de l’émergence des « Espaces de Dialogue ». Nous avons entendu tous parler des lois Auroux, et dernièrement en 2013 l’ANI (Accord National Interprofessionnel) signé le 11 janvier 2013 et transposé dans la loi du 14 Juin 2013 qui en a repris les termes de l’accord.
Ce qu’il y a d’important je pense c’est de vous donner les principales informations sur ce sujet. ANI et la QVT (Qualité de Vie au Travail) du 14 juin 2013 : la recommandation de la mise en place d’espaces de dialogue.
Les conditions, dans lesquelles les salariés exercent leur travail et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci, déterminent la perception de Qualité de Vie au Travail (QVT) qui en résulte.
Voilà pour le décor : nous allons parler de l’enquête qui a été menée l’an dernier par l’ANACT lors de
la onzième semaine sur la QVT.
Le thème était de parler de son travail :
- Comment !
- Avec qui ?
- Pour quelle finalité ?
Parler de son travail constitue une difficulté pour près d’un tiers des salariés. Il est constaté que 31 % des salariés font état de difficultés à parler de leur travail.
Les échanges se font en majeure partie avec des collègues proches et des managers directs plutôt qu’avec les instances dirigeantes et les services transversaux.
Lorsque l’on sait que l’exemplarité effectivement est très importante et que si le dirigeant ne reprend pas « les rênes », cela ne peut pas fonctionner, ce qui très regrettable. En fait on se rend compte que c’est un « item » qui est aussi très faible.
Autre question : les sujets sur lesquels les collaborateurs souhaitent échanger, se font le plus souvent de manière informelle.
Seules aujourd’hui 23 % des personnes interrogées font état de l’existence « d’Espaces de Dialogue » au sein de leur service ou de leur entreprise.
S. Journoud : Je vais essayer de poser le cadre de cette histoire :
- Pourquoi parler de son travail ?
- Pourquoi est-ce que ça revient aujourd’hui avec autant de force ?
Ce qui ressort de cela : c’est qu’il y a une carence dans les « Espaces de Dialogue » formels.
Avant d’aller plus, je vous propose de regarder un film, les images en disent plus que les grands discours.
« Passage d’un film d’interviews de salaries qui parlent des « Espaces de Dialogue » et de l’intérêt qu’ils ont à y participer »
Je vais arrêter là la restitution des réponses faites par ces salariés interviewés car je pense que vous avez saisi, avec ces quelques images les sentiments de ces salariés et la nécessité pour eux de parler de leur travail.
Ce micro-trottoir avec ces salariés rejoint et résume beaucoup d’études universitaires qui montrent que parler de son travail est une nécessité. Parler du travail est un besoin naturel, essentiel à l’activité, parce qu’on ne travaille jamais seul mais toujours avec quelqu’un ou pour quelqu’un.
Nous avons un besoin naturel de parler de notre travail qui alimente plusieurs dynamiques :
La première dynamique est celle de la régulation. Le travail ne se réduit jamais à la demande d’un travail prescrit, nous devons faire face aux aléas du quotidien, aux difficultés diverses. Il faut donc en rediscuter par la suite. Le salarié se demande : « comment j’ai pu fait face à cette difficulté ? »
C’est un temps que le salarié doit prendre pour discuter avec ses pairs, mais aussi avec son manager, pour chercher son soutien et trouver des compromis pour répondre à ses aléas, aux difficultés rencontrées. On rejoint là la notion de régulation.
L’autre dynamique c’est celle de l’apprentissage et du développement professionnel. Mettre des mots sur son activité nécessite une réflexion sur son travail, sur ce qui a été réalisé et cela permet de commencer une dynamique d’apprentissage.
Vous connaissez certainement ces groupes qui se répandent de plus en plus, les groupes de
Co développement pour alimenter cette dynamique d’apprentissage.
Il y a aussi des dynamiques de reconnaissance. Parler, c’est se reconnaître en tant que personne, c’est reconnaître qu’on a une pratique intéressante dans son activité.
Vous allez me dire que tout ceci est formidable, pourquoi n’est-ce pas mis en avant dans les entreprises ?
La volonté des partenaires sociaux lors de la signature de l’ANI était de sensibiliser les entreprises à mettre en place des « Espaces de Dialogue » parce qu’il apparaissait une carence dans ce domaine. Cela peut paraître un paradoxe, dans vos organisations si comme je pense vous avez vécu de nombreuses conduites de changement.
Mais les salariés se lassent, car lors de ces changements, ils ne sont le plus souvent pas entendus malgré toutes les réunions qui sont faites.
Il faut être au clair sur ce qu’il se passe au cours de ce travail. Est-ce que nous faisons simplement de
la communication ou est-ce un véritable dialogue !
De quoi parlons-nous ? :
- du travail ?
- de l’emploi ?
- des objectifs ?
Ci-dessous vous avez un schéma explicatif qui représente un ensemble « d’Espaces de Dialogue dans une entreprise.
Ce sont des lieux multiples pour parler du travail.
Il y a souvent une logique de gestion qui fait qu’on ne prend pas en compte le terrain.
Mais il ne faut pas seulement l’écouter, il faut agir et lui montrer qu’il a été écouté pour changer les choses.
En réaction au constat de cette multiplicité de supports d’expression qui sont polymorphes, on a essayé de les définir :
Pour nous, un espace de discussion ou de dialogue est un espace collectif (s’il y a au moins plus de deux personnes présentes), les entretiens annuels ne sont pas des « Espaces de Dialogues ».
Il faut qu’ils permettent une discussion centrée sur l’expérience du travail. La parole est le vecteur principal. Il ne faut pas le confondre avec tous les « cas », qui ont parfois leur intérêt mais qui semblent le plus souvent assez limités.
Il doit y avoir un cadre, une volonté d’institutionnaliser les « Espaces de Dialogue » pour les inscrire dans la logique de l’entreprise. Installer des machines à café un peu partout ne suffit pas.
Le dernier point à retenir est celui de l’organisation de l’aval. C’est à dire : que fait-on de ce qui sort de la discussion ? Les salariés s’expriment, ils font remonter un certain nombre d’informations, et ensuite, il faut agir, prendre en compte, préparer des réponses, mettre en place des propositions et des actions.
C. Lecouteur : Merci Ségolène Journoud pour cette approche. La question de l’aval ou de l’après est primordiale pour valoriser les « Espaces de Dialogue », les pérenniser et les rendre incontournables.
Je m’adresse maintenant à Hervé Garnier qui était un des signataires de l’ANI du 11 Janvier 2013 pour lui demander pourquoi il a signé cet accord.
H. Garnier : Je crois que c’est la question qui me met le plus mal à l’aise, aussi je répondrais franchement : c’était évident.
Cet accord est un carrefour où se retrouvaient beaucoup de solutions à des problèmes différents. D’une part toutes les négociations tournent autour de l’emploi et de son évolution, la question du travail en elle-même est assez peu traitée.
Il y a aussi cette idée que tant que nous avons des millions de chômeurs, n’est-il pas déplacé de parler de l’amélioration de la Qualité de Vie au Travail. Chaque fois que nous avons abordé ce sujet auparavant, c’était pour des accords qui traitaient de ces problèmes en les regardant par « le petit bout de la lorgnette ». Nous avons signé des accords de branche, mais pas grand chose, pas assez. L’ANI intègre cette demande, il y avait l’idée. C’était aussi de la stratégie syndicale.
Nous n’avons pas signé sans penser à ce que devait être le dialogue social dans l’entreprise. L’accord Q.V.T. est un formidable levier pour le dialogue social, c’est notre position à nous la CFDT. Nous avions là l’occasion d’enfoncer un coin qui nous permettrait ensuite d’avancer.
Mais il y avait un paradoxe : est-ce que donner la parole directement aux salariés ne remet pas en cause les syndicats ? Nous avons fait le pari que non, et la réalité semble nous avoir donné raison. C’était une opportunité pour le syndicalisme.
L’autre coté, quand je dis « dialogue social », c’est le droit d’expression. Mais celui-ci ne peut fonctionner que s’il y a les conditions nécessaires à la mise en place de cette forme d’expression. C’est exigeant, parce que donner la parole aux salariés et qu’ils la prennent, cela crée de l’attente. Et si on crée de l’attente il est absolument nécessaire de donner des réponses.
C. Lecouteur : Deux questions Hervé Garnier :
- la 1ère : Y-a-t-il eu beaucoup d’accords signés ?
- la 2ème : Par rapport aux lois Auroux, la position de la CFDT est-elle différente de ce qu’elle a été ? On disait à l’époque que c’était du descendant, est-ce que vous pouvez nous en parler aujourd’hui ?
H. Garnier :
1ère question – trop peu d’accords à mon goût ont été signés. C’est un changement fondamental dans les entreprises, mais sur le long terme, nous sommes optimistes, Nous défendons l’idée qu’il faut trouver les réponses dans chaque entreprise, il n’y a pas de réponse toute faite.
Par contre, je suis un peu plus inquiet, lors que l’on entend que les accords signés ne concernent en majorité que les grandes entreprises. En effet, sauf erreur de ma part, il n’y en a pas eu dans les PME. Cela prendra surement un peu plus de temps.
2ème question – pour avoir fait un jour une interview avec Jean Auroux, je me souviens qu’il m’avait dit que ces lois, c’était le « droit d’ouvrir sa gueule dans l’entreprise ».
Je crois que ça correspondait à un vrai besoin à un moment donné dans le temps et notamment dans les années 80.
Si au début cela a créé beaucoup d’espoir, je me rappelle qu’aujourd’hui le droit à l’expression est toujours une obligation dans l’entreprise. Aujourd’hui, il n’y a que 7 % des entreprises qui ont des accords sur le droit d’expression. C’est un droit d’expression qui était plus sociétal qu’autre chose. Si nous donnons la parole aux salariés et s’ils la prennent, il est indispensable de leur répondre surtout s’ils font des suggestions.
Toutefois, il est nécessaire de prendre en compte que si l’espace d’expression est plus large que le quotidien des salariés, les réponses seront plus complexes.
Je disais tout à l’heure que c’était un carrefour d’idées qui se rencontrent. Nous pensons aujourd’hui que le droit d’expression est un moyen de réconcilier les salariés. Quelqu’un qui est bien dans son « boulot » est bien dans sa vie, que celle-ci soit personnelle, professionnelle ou familiale.
C. Lecouteur : Merci Hervé Garnier.
J’aimerais avoir le sentiment d’Alain Benlezar sur cette question.
A. Benlezar : Je crois que la difficulté concernant les lois Auroux, a été que les acteurs de l’entreprise n’y ont vu que des risques. Notamment la remise en cause de la responsabilité de l’employeur en matière d’organisation du travail, du management et pour les syndicats la crainte du contournement de ceux-ci par les employeurs.
Il y a eu une difficulté à réfléchir et à utiliser un langage commun pour définir les problématiques à évoquer et à débattre.
Aujourd’hui, je pense que les entreprises et les syndicats ne perçoivent plus les « Espaces de Dialogue » comme des risques mais au contraire comme des opportunités.
De plus, les salariés sont les meilleurs experts de leur propre travail, et ils ont l’intelligence de vouloir travailler mieux. Nous pouvons leur prescrire tout ce que nous voulons, il arrivera un moment où ils le feront différemment parce qu’ils ont le discernement de voir que les choses peuvent être faites différemment pour être mieux réalisées. D’où la nécessité de mettre en place des « Espaces de Dialogue ».
Les salariés sont disponibles pour discuter de leur travail réel et cela redonne de la place au collectif. C’est important à un moment où la mode est à l’individualisation. Cela permet de repenser ensemble le travail et pas individuellement ; en faisant cela nous redonnons du sens au collectif. Pour moi, c’est l’objectif majeur des Espaces de Dialogue et d’Expression.
C. Lecouteur : Merci Alain Benlezar. Est-ce que vous pouvez nous parler de l’exemple d’Air France, pour savoir ce qui a été réalisé au sein de ce groupe ?
A. Benlezar : Air France est une des rares entreprises à avoir conclu un accord largement inspiré de l’ANI. Notre accord était de favoriser les expérimentations, de réfléchir ensemble aux évolutions des conditions de travail et à l’organisation de celui-ci ainsi qu’à la place des nouvelles technologies. Nous avons ensemble partagé et validé une méthode de mise en place des espaces d’expression. Nous avions pour objectif de centrer ces espaces sur la « Qualité du Travail ».
Les salariés sont fiers de réaliser un travail de qualité mais ils nous demandent de prendre en compte leurs suggestions. Nous avons donc mis en place une méthodologie partagée, en quatre étapes :
1. Première étape
- Définition des objectifs – C’était pour nous la mise de en place d’espaces collectifs d’expression pour permettre une discussion nourrie par les expériences réelles de travail et sur les améliorations susceptibles d’être réalisées.
- Inscrire ces espaces dans l’organisation du travail – Ceci afin qu’ils s’articulent avec les processus de management pour produire des décisions concrètes sur la façon de mieux travailler. 1.3. Organiser l’expression et le dialogue – Selon des règles co-construites avec une démarche concertée faisant appel à toutes les compétences (opérateurs, managers, partenaires sociaux, etc.).
- La mise en place d’espaces de dialogue doit s’appuyer sur le dialogue social. La QVT redonne de nouvelles perspectives au dialogue social.
- Corriger les difficultés dues à des dysfonctionnements éventuels – évaluer la performance du système mis en place.
Je reviens à l’équation qui était sur l’invitation de ce Petit Déjeuner :
Qualité de Vie au Travail = Qualité du travail = Performance.
Comment répondre à cette équation ? D’abord par des réunions entre salariés pour qu’ils puissent librement s’exprimer sur leur travail et ensuite poursuivre la réunion avec leur manager pour qu’il y ait un réel échange par un débat favorisant l’émergence de suggestions, de propositions.
C’est un appel à la création et à l’innovation participative. Il faut donner la parole aux salariés, cela va de pair avec leur volonté d’expression.
La création d’un tel espace n’est pas simple, cela se prépare, prend du temps et s’organise.
Chez Air France, nous avons voulu nous donner le temps nécessaire à la mise en place « d’Espaces de Dialogue ».
Simultanément, nous devons expliquer pourquoi et comment la démarche est positive.
2. Deuxième étape
- Faire le lien avec l’existant. Faire en sorte qu’il n’y ait pas redondance. Il faut que cela vienne du bas. Cela nous oblige à changer notre manière de penser l’organisation du travail en s’extirpant du « top down ».
3. Troisième étape
- construire une ingénierie ? C’est à dire comment construire ces espaces et pourquoi ? 3.2. avec quels acteurs, quel mode, quelle périodicité ?
4. Quatrième étape
- Les salariés attendent aussi des décisions quant à leurs suggestions. Il faut les prendre en compte et y répondre.
C. Lecouteur : Merci Alain Benlezar
J’aimerai donner la parole à Olivier Colin, qui gère, près de Bordeaux un centre de La Poste qui emploie près de 500 personnes.
O. Colin : Je partage tout ce que vous avez dit, et je vais essayer de vous apporter un témoignage opérationnel.
Dès que nous parlons d’espace de dialogue ou de QVT, s’il n’y a pas de solution clé, il doit y avoir de la méthode.
Pour moi il y a deux maitres mots : confiance et autonomie.
La confiance – ça ne se déclare pas, ça se travaille. Quand je suis arrivé, le contexte social était tendu. La confiance doit être la base de tout. S’il n’y a pas un minimum de dialogue et de confiance, c’est très difficile. La confiance j’y reviendrais.
L’autonomie – La direction ne doit pas faire descendre une vision et imposer son point de vue et en même temps, la direction n’a pas forcément la capacité de répondre à toutes les questions et donc les demandes. Les solutions passent donc par l’intelligence collective.
Le sujet, c’est d’avoir des « Espaces de Dialogue », des échanges, une confiance réciproque, et ainsi mettre en mouvement un collectif avec une méthode.
Je suis donc parti d’un constat au Québec et notamment de leur expérimentations autour de l’Entreprise en Santé.
Les suisses, comme les québécois en font un vrai levier de performance pour l’avenir.
J’ai lancé l’idée à mon comité de direction, tout en étant conscient que le personnel avait pour habitude « de se plier » aux exigences du comité.
Aussi avec le comité, nous avons fait en sorte que le « bien-être au travail » soit à part égale avec la performance.
Le dispositif santé-performance a été porté par le management en ligne de crête, c’est à dire que tout l’encadrement s’est aligné sur le fait que dès lors qu’il y a un changement, l’équilibre santé-performance doit être respecté. La santé est un élément fédérateur.
Tout le monde a été d’accord avec cela. Tout le monde s’est accordé à dire que rien n’est plus important que la santé d’un collaborateur. Généralement ça fonctionne très bien.
C. Lecouteur : Avez vous remarqué un changement au niveau du présentéisme ?
O. Colin : Je pense qu’il faut éviter de vouloir tout mesurer. L’un des travers de cette attitude, c’est que si nous commençons à vouloir mesurer l’impact des actions que l’on va mener, tout devient très compliqué.
J’ai maintenant 4 ans de recul, l’absentéisme de courte durée a diminué chaque année.
La relation avec l’accidentologie se vérifie au quotidien, elle a diminué de 50 % en quatre ans.
En fait, pour rejoindre la notion de confiance, les espaces ont du sens si tout peut y être dit et que rien n’est tabou dans l’entreprise. Sauf peut-être des schémas industriels à horizons de dix ans, mais à part cela plus aucun sujet n’est tabou. Transparence totale. Ni les résultats économiques, ni le travail.
À La Poste on a beaucoup parlé du « oui au congé ». On s’est dit qu’à partir du moment où on disait toujours « oui au congé » on augmenterait la performance. Idem avec le temps partiel choisi. Nous nous sommes rendus compte que c’était très probablement payant. En effet, nous avons l’habitude de dire : d’accord pour les congés, mais nous souhaitons que le niveau d’absentéisme baisse. C’est toujours difficile de parler de l’absentéisme, mais si on considère que l’intelligence collective va trouver la solution et qu’il n’y a rien à cacher, tout le monde est gagnant.
C. Lecouteur : Est-ce que vous avez un exemple de projet pour illustrer cette qualité de vie au travail ?
O. Colin : J’ai un exemple qui a été repris dans certains médias, celui des « jardins potagers ». Cinq agents m’ont dit qu’ils aimeraient jardiner sur leurs temps de pause.
Cette demande était aussi en relation avec leurs problématiques de pouvoir d’achat. Ils m’ont proposé de créer des potagers.
Au début j’étais un peu circonspect. Et puis j’ai dit oui en me disant que c’était peut être un moyen de trouver de la convivialité et que si en plus cela pouvait aider les agents à augmenter leur pou- voir d’achat, chacun seraient gagnant.
Le maire a été très vite d’accord pour aider à la mise à disposition du matériel, des semences, etc. Ils ont tout monté, grillage, etc.
Il a fallu un peu communiquer et aider, car les regards des autres n’étaient pas forcément bienveillants.
Les cinq personnes à l’origine se sont retrouvées, un jour, devant des caméras de France 3, fiers de montrer à leurs familles ce qu’ils avaient fait, et aujourd’hui une quinzaine de personnes ont leurs carrés de potager.
Je crois que cela a permis de libérer le plaisir et le bien être au travail.
J’ai l’habitude de souvent poser des questions du type :
- De quoi rêvez vous pour l’avenir ?
- De quoi seriez vous fier dans l’entreprise ?
Si nous sommes capables d’y répondre alors forcément nous devons nous mobiliser.
Notre objectif commun est de devenir un des centres les plus performants d’Europe avec la QVT et pourtant, il n’est pas très excitant de travailler au tri du courrier !
C. Lecouteur : Performance, plaisir, beaucoup d’enseignements.
Nous avons la chance d’avoir deux participantes québécoises, Marie-Thérèse Dugré et Marie- Claude Pelletier. Quelques sont vos sentiments sur ces questions ?
M.T. Dugré : Nos espaces de production ne sont pas forcément organisés comme vous les avez décrits. Mais il y a beaucoup de consultation sur l’environnement de travail, les pratiques de gestion, la conciliation travail-famille et sur les choix de vie.
Actuellement nous assistons à des problèmes d’absentéisme importants à cause de troubles psychologiques.
La santé est effectivement aussi pour nous une base depuis laquelle on envisage la qualité de vie au travail.
M.C. Pelletier : Je pense que nous avons un milieu de travail un peu plus ouvert et convivial chez les opérateurs que dans la hiérarchie. Mais nous avons quand même besoin de faciliter le dialogue, pour ouvrir sur des sujets qui peuvent être organisationnels ou personnels.
C’est une approche globale, il faut considérer le salarié comme une personne qui a de multiples facettes.
A. Benlezar : Aujourd’hui il est vrai que la façon dont nous réfléchissons sur les équilibres temporels n’est pas la même que celle que les jeunes utilisent aujourd’hui. Moi je vivais pour le travail, les jeunes aujourd’hui travaillent pour vivre, et vivre autrement.
La conciliation vie professionnelle-vie personnelle est très intéressante. Nous avons mis en place chez Air France une démarche pour aider les salariés, ayant des membres de leurs familles dépendants à fractionner leur temps de travail pour leur permettre de trouver à l’extérieur de l’entreprise les aides nécessaires pour faciliter leur travail d’aidant familiaux.
C. Lecouteur : J’aimerais avoir l’avis d’Hervé Garnier sur ces méthodes
H. Garnier : Je suis d’accord avec l’idée qu’il faut de la méthode. Là où je suis plus réservé c’est
si cela aboutissait à une normalisation trop forte. Je pense que la clé de la réussite est aussi dans
la capacité d’adapter ce dialogue à la situation de l’entreprise. Il faut garder de la liberté de mouvement. Pour nous, il faut laisser de la marge, à un espace inventif. Sur la conciliation vie professionnelle/vie privé, pour nous depuis 2013 c’est un sujet évident, c’est peut-être le prochain sujet à faire l’objet d’un accord. Nous venons de faire une enquête, qui montre que les arrêts de travail pour maladie sont pris aujourd’hui comme un élément de modulation du temps de travail parce que les salariés n’en ont pas d’autre.
S. Journoud : C’est moi qui avait parlé d’institutionnaliser les espaces de discussion. Je voulais dire reconnaître, ces espaces et surtout ne pas les figer. Bien sûr qu’il ne faut pas les figer, et nous devons résister à la tentation de la formule magique.
Il n’y a pas une seule bonne pratique, cela serait trop facile, il faut résister à la tentation de ne pas se demander : pour son entreprise, ses salariés, son histoire et ses finalités ce qui est le mieux.
Il faut faire ce travail. Il faut aussi être au clair :
- Qu’est-ce qu’on attend de ces espaces ?
- Qu’est-ce que les salariés et les managers en attendent ?
A l’ANACT, nous nous sommes rendus compte que les PME commencent à s’y mettre sans connaître même la notion de Qualité de Vie au Travail. Cela prouve que ce sont des questions de bon sens, d’écoute. La « QVT » pénètre aussi dans les régions françaises les PME et les TPE.
Nous constatons que beaucoup se mobilisent pour rentrer dans la démarche « QVT ».
C. Lecouteur : Nous avons maintenant prévu une bonne demi heure pour répondre aux questions de nos invités.
QUESTIONS DES INVITES
Un Invité « ancien manager chez Renault » : En tant qu’ancien manager, il m’est déjà arrivé d’ouvrir des « Espaces de Dialogue », mais certains salariés n’ont pas envie ou ne souhaitent pas parler et surtout donner leur avis. Comment fait-on dans ces cas là ?
D’autre part, j’aurais voulu savoir ce que vous aviez à dire de la comparaison
«Line Management / Qualité de Vie au Travail ».
Est-elle pertinente, et comment les distingue-t-on ?
A. Benlezar : Pour la première question, dans un collectif nous trouvons généralement différentes personnalités et comportements. Certains sont très prudents, d’autres beaucoup plus audacieux. C’est la dynamique du collectif qui va convaincre et faire venir tout le monde.
L’espace d’expression est évolutif. Il est probable que les « Espaces de Dialogue » ne fonctionneront pas de la même manière dans un atelier de maintenance que dans un bureau. Il ne faut surtout pas standardiser les espaces, en faire une approche universelle.
La Qualité de Vie au Travail, c’est vraiment un chantier de longue durée. C’est un processus long. Comme un mineur de fond : je creuse, j’étaye, je progresse.
O. Colin : Sur la comparaison avec « le line / management. Line = Respect. Respect = Santé. Santé = Qualité de Vie au Travail. Ici c’est souvent très mal perçu, plutôt que d’appliquer des concepts on les déforme. L’autonomie c’est aussi « le line ». Tout ça est complémentaire, il ne faut pas être uniquement productiviste.
S. Journoud : Sur la question du « line », quand on le met en place nous avons des « Espaces de Dialogue ». Les modalités d’application du « line » lui font perdre son esprit initial. La plupart du temps ils ne sont pas sur le vécu mais sur le technique. C’est cela qui fait la différence avec la QVT. « Le line » a pour objectif de « normer ». C’est une distinction entre les « Espaces de dialogue », la QVT et « le line ».
Un salarié qui ne veut pas parler de son travail, ça peut arriver. Peut-être a-t-il perdu ses illusions par une expérience qui l’a déçu. Il très important que le manager s’implique dans le processus. Est-ce que vous avez besoin d’une formation, peut-être que le dialogue doit être animé par un autre salarié et pas forcément par le manager.
H. Garnier : Sur « le line », je n’en dirai pas plus, ainsi que sur les salariés qui ne prennent pas la parole… Les Espaces de Dialogue » se construisent dans le temps, à force de confiance, d’acceptation collective, de reconnaissance et de considération.
Un espace d’expression c’est commencer par dire ce qui ne va pas. C’est déstabilisant, pour tout le monde. Il faut avoir confiance pour le dire et ne pas craindre qu’on vous le fera payer par la suite. Parler de ce que l’on voit, c’est parler par rapport aux autres. Quand on voit par exemple le nombre de personnes victimes du diabète qui sont discriminées ou licenciées simplement parce qu’elles n’en parlent pas !
Le plus dur c’est de passer au concret dans les « Espaces de Dialogue ». Par contre, il important si nous prenons la parole de ne pas le faire uniquement pour dire ce qui ne va pas ; c’est très négatif, il faut aussi positiver, avec du temps, cela s’apprend.
C. Lecouteur : Vous avez les trois « C ».
A La Poste, nous avons les trois « S » : Sens, Suivi, Soutien.
Un autre Invité : Dans les espaces de M. Colin, qui porte les attentes de vos clients ?
O. Colin : La question est importante. Le projet a trois axes sous la forme de trois types de santé :
- Santé et bien-être du personnel
- Santé durable,
- Santé de la relation avec les clients
Evidemment l’entreprise a pour objectif de dégager des résultats positifs, permettre des emplois durables, ainsi que de fidéliser et conquérir de nouveaux clients. L’un des sujets au coeur des échanges est : comment fait-on pour satisfaire les clients ?
Généralement les attentes des clients génèrent des contraintes. C’est un sujet qui doit être porteur d’optimisme. Qui le porte ? Cela dépend des sujets. Je pense qu’en fait là aussi il ne faut pas institutionnaliser la relation client. L’impact du client est forcément un vecteur positif dans ces espaces.
A. Benlezar : Le client est au cœur de la Qualité de Vie au Travail car il est au centre des attentions de l’entreprise et des salariés. C’est ce que l’on appelle une symétrie des attentions : un client heureux rend le salarié heureux et inversement.
S. Journoud : Quelques remarques sur les expérimentations et la nécessité de les mesurer. Je suis d’accord sur le fait qu’il faut résister à l’approche gestionnaire de vouloir tout mesurer. Néanmoins si nous avons une approche d’expérimentation, il faut aussi l’évaluer à un moment donné.
A l’ANACT, nous sommes singuliers parce que nous parlons d’évaluation embarquée. Non pas avec un expert mais avec les salariés eux-mêmes qui définissent les critères.
Pour nous, quels sont les indicateurs ?
Dimension technique, santé au travail, ainsi que dimension du marché et satisfaction des clients.
Il faut trouver la juste trajectoire qui embrasse tous ces points.
Un invité : Par rapport à la timidité du salarié. La personnalité est importante, certains seront écrasés par le groupe et n’arriveront pas à parler.
Tout au long de l’année je pense qu’il devrait y avoir des entretiens. C’est là que les salariés introvertis trouveront le moyen de parler. Le volet interpersonnel est très important.
En tête-à-tête avec leur manager ils trouveront le moyen de s’exprimer.
J.M. Spaeth : Dans ce consensus, je vais faire le gauchiste de service et j’espère que vous me pardonnerez. Ces temps ci, on parle de cadeaux aux entreprises. La question du statut des entreprises, de leur finalité sont (qui est de faire du profit) sont des sujets qui sont inscrits dans la tête des personnes.
La compétitivité, c’est comme dans un stade de foot où le premier rang se lève, suivi par le deuxième et jusqu’au dernier, et à la fin tout le monde voit pareil mais tout le monde est debout. Selon vous : est-ce que le statut de l’entreprise n’est pas important ? Quel est votre point de vue ? Est-ce que ce sujet est présent dans vos outils de dialogue sur la QVT ?
A. Benlezar : Dans la démarche que nous avons initiée nous avons cherché à être modestes.
Ce matin Hervé Garnier disait qu’aujourd’hui nous parlons beaucoup d’emplois et très peu de travail. Aujourd’hui les transformations du travail sont en train de modifier la nature des contrats de travail.
80 % des salariés ont un CDI, mais l’embauche se fait principalement à 90% en CDD. Un des enjeux est : comment les relations entre le salarié, son activité et son entreprise vont évoluer.
Anticiper et accompagner les nouvelles formes de travail, est un enjeu de la Qualité de Vie au Travail.
H. Garnier : Si on attend que le dernier « actionnaire » soit mort pour changer l’entreprise, on va attendre longtemps. On voit les limites du système avec l’analogie du stade de foot. Les personnes s’interrogent sur la finalité du système de travail, et la QVT est un élément de cette réflexion. On
a beaucoup misé sur la notion du profit en faisant des plans sociaux alors qu‘avec la QVT nous constatons qu’il y a des gains de productivité et chacun est gagnant-gagnant en bonne intelligence.
Je faisais le lien tout à l’heure avec une dimension sociétale. C’est penser que chacun peut avoir sa place, c’est un projet de société. Derrière la QVT il y a une dimension sociétale où l’entreprise a un rôle à jouer. L’ANI ne créé pas de la norme, mais c’est un des accords les plus révolutionnaires, même s’il est passé relativement inaperçu.
S. Journoud : Lorsque l’on parle de QVT pour performance, ce n’est pas seulement la performance économique, mais c’est la performance globale. On parle du bien-être, etc., mais aussi de la performance opérationnelle et économique, il y a trois dimensions.
Un invité : M. Colin, vous évoquiez une transparence totale. Il existe des cas où l’on sait que des réformes vont avoir lieu, mais on ne peut pas leur dire. Vis à vis des salariés la transparence n’est pas toujours possible. Comment gérez vous le délit d’entrave ?
O. Colin : Je n’ai pas d’exemple de délit d’entrave, je n’en ai pas eu. Pour moi la transparence c’est être très clair sur le niveau d’emploi, anticiper les changements au maximum.
Être très clair aussi sur ce que j’attends. Nous avons dit qu’il ne fallait pas que la direction ait une communication descendante. À partir du moment ou une communication est partagée, il y a une attente de résultats. Être responsable c’est de dire par exemple que l’activité est déclinante et que nous avons trois ans pour réussir à conquérir de nouveau marchés et trouver des solutions. Il faut de l’optimisme. Si j’explique que c’est foutu d’avance, évidemment ça ne marche pas. A partir du moment où vous expliquez très clairement les difficultés et que vous leur donnez de vrais leviers, ils trouvent plein de solutions.
Un Invité « Avocat » : Je voulais apporter un témoignage d’avocat. La cour de cassation a bâti une jurisprudence à partir de l’amiante. Elle incrimine aujourd’hui l’organisation du travail. Quand un salarié court un risque, il peut demander une réparation du préjudice subi sans avoir à en apporter la preuve. C’est une vraie bombe parce que chaque salarié peut incriminer l’organisation du travail. L’entreprise pour se couvrir est obligée de prendre des mesures de précaution.
En conclusion ne pourrait-on pas créer des espaces de discussion pour résoudre ces problèmes ?
CONCLUSION
J.P. Chaffin : Pour conclure, d’abord je remercie les intervenants. Je vais tenter un parallèle un
peu osé entre la démocratie et l’organisation de l’entreprise. Pour la démocratie, Rousseau était partisan de la démocratie directe. Malheureusement ça ne suffisait pas et Tocqueville a bien décrit le fonctionnement de la vie démocratique par représentation. Quand nous sommes dans une entreprise, nous avons besoin de rendre possible l’expression de tous les salariés. Et en même temps il faut l’organiser, via le management. Tout ceci est un problème permanent. Nous n’avons pas trouvé On a pas à l’heure actuelle d’autre système que le capitalisme. Mais des organisations comme les nôtres tentent de le rendre plus vivable.
Pour terminer et pour évoquer les activités de notre association, je voudrais remercier particulièrement Jean-Hubert, il faut reconnaître que la vie de P3S repose sur ses épaules. Si vous avez des idées, si des entreprises veulent contribuer, vous serez bien accueillis et nous aurons la capacité d’amplifier nos actions sur des sujets qui ne sont pas prêts de perdre leur intérêt.
JH de Kersabiec : Notre association a été créée en novembre 2009 après avoir fonctionné sous la forme d’un « Think Tank » informel pendant 4 ans. Nous avons fêté fin 2015 notre dixième anniversaire.
Aujourd’hui, nous avons pour ambition de créer au sein de notre association un lieu de réflexion, d’échanges de bonnes pratiques, de débats informels, de promotions centrées sur les questions de « Santé Mieux-Être » ou de Qualité de Vie au Travail dans l’entreprise.
Notre site est cours de finition, vous y retrouverez notamment les comptes rendus de nos petits déjeuners, des articles de presse, des évènements à venir, des interviews, etc.
L’association se veut être un réseau d’acteurs diversifiés : représentants des employeurs et des salariés, experts, sociologues, psychologues, économistes, intervenants en prévention des risques professionnels, assureurs de personne et professionnels de santé.
P3S est depuis son origine, particulièrement attentif au dialogue social, à la conciliation vie privée et vie professionnelle, à l’employabilité, ainsi qu’au développement d’actions allant dans le sens du maintien à l’emploi en mettant à la disposition du salarié des outils lui permettant d’anticiper et de piloter lui même sa carrière professionnelle en prenant en compte ses attentes personnelles et familiales.
En ce qui concerne les documents qui ont été présentés aujourd’hui, Ségolène Journoud que je remercie à nouveau, ainsi que les tous les intervenants, nous les adressera et nous vous les ferons suivre.
J’espère très sincèrement que nous vous aurons apporté aujourd’hui quelques éléments de réponse sur les « Espaces de Dialogue » et que cela vous aura donné envie d’approfondir l’intérêt de ceux-ci.