Comment des chercheurs essayent de retracer l’apparition du coronavirus en France
France-info – le 8 mai 2020
Les premiers cas confirmés de Covid-19 dans l’Hexagone ont été recensés fin janvier. En réalité, le virus aurait circulé bien plus tôt sur le territoire français.
Des échantillons devant être testés en laboratoire dans un « drive-test » pour le dépistage du nouveau coronavirus, le 23 mars 2020 à Lisses (Essonne). (FRANCK FIFE / AFP)
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Une toux sèche, de la fièvre et de la fatigue. Quand Amirouche Hammar voit ces premiers symptômes apparaître à la fin décembre, rien ne semble anormal. Pourtant, ce qui ressemble à une grippe, persiste. Pris de douleurs au thorax, l’habitant de Bobigny (Seine-Saint-Denis) se rend aux urgences de l’hôpital Jean-Verdier, à Bondy. Il y restera plusieurs jours, souffrant d’une infection pulmonaire qui lui inflige de fortes « douleurs au thorax », confie-t-il à France info.
En ce 27 décembre 2019, personne ne connaît la cause réelle de sa maladie. La Chine n’a pas encore informé l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de nouveaux cas suspects de pneumonie à Wuhan. Amirouche Hammar est pourtant déjà atteint du Covid-19.
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Il l’a appris il y a deux semaines, grâce un travail rétrospectif mené au sein des hôpitaux Jean-Verdier, à Bondy, et Avicenne, à Bobigny. Une analyse de tests PCR réalisés sur des patients hospitalisés pour des pneumonies, entre le 2 décembre et le 16 janvier, a permis de retrouver ce cas précoce de contamination au nouveau coronavirus.
Son bilan biologique montrait une inflammation très importante, et les images de son scanner thoracique étaient tout à fait compatibles avec le Covid-19.Le professeur Yves Cohen à France info
Est-ce le « patient zéro » du Covid-19 en France ? De premiers cas français, tous revenus de Chine, avaient été recensés le 24 janvier. Puis une enquête avait révélé un premier cas « sédentaire » dès « la deuxième semaine de janvier » dans l’Oise, où s’est ensuite développé l’un des principaux « clusters » de l’épidémie, avec le foyer de Mulhouse (Haut-Rhin), selon Le Monde.
En réalité, le virus pourrait être apparu bien plus tôt dans l’Hexagone. Depuis quelques semaines, plusieurs hôpitaux lancent, comme à Bondy et Bobigny, des recherches pour tenter de retracer son arrivée. Un cas datant du 2 décembre a ainsi été confirmé par scanner et test PCR à l’hôpital Albert-Schweitzer à Colmar (Haut-Rhin), a appris France info auprès du département d’imagerie médicale de l’hôpital.
Un virus présent en France avant son arrivée supposée
Selon nos informations, l’idée de ces analyses rétrospectives à Bondy et Bobigny a émergé en février, lors d’une discussion entre équipes médicales. Et si ces patients atteints d’infections respiratoires étaient déjà porteurs du virus, dès le mois de décembre ? L’hypothèse est restée dans les esprits, mais aucune recherche pour la confirmer n’a pu débuter avant le 5 avril, l’équipe devant faire face à une crise sanitaire inédite.
Début avril donc, « nous sommes partis revoir les dossiers de patients ayant un tableau clinique ressemblant à celui du Covid-19 », précise Olivier Bouchaud, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Avicenne. Autrement dit, des patients présentant « des pneumopathies graves et pour lesquelles nous n’avions retrouvé aucune origine infectieuse ». Quatorze ont été sélectionnés. Des analyses ont déterminé que seul l’un d’entre eux, Amirouche Hammar, était porteur du nouveau coronavirus. Une deuxième technique d’analyse est venue confirmer ce résultat.
Première conclusion de ces recherches : « Un patient était donc atteint du Covid-19 un mois avant les premiers cas rapportés dans notre pays », soulignent les chercheurs dans leur étude (en anglais) parue dans l’International Journal of Antimicrobial Agents. Pourtant, Amirouche Hammar, un poissonnier de 43 ans né en Algérie, ne revenait pas de Chine. Son dernier voyage était dans son pays d’origine au mois d’août, précise l’étude. « Il se déplaçait peu à ce moment-là, poursuit Yves Cohen. Nous savons juste que sa femme travaille dans un supermarché, où elle est en contact avec des gens venant de l’aéroport de Roissy. » Un de leurs enfants a présenté des symptômes, mais pas elle.
L’absence d’un lien avec la Chine et de récents voyages suggèrent que la maladie circulait déjà au sein de la population française à la fin du mois de décembre. Les auteurs de l’étude dans l’« International Journal of Antimicrobial Agents »
Et même avant, d’après les premiers résultats du travail piloté par Michel Schmitt, chef du département d’imagerie médicale à l’hôpital Albert-Schweitzer de Colmar. Le médecin et son équipe ont récemment analysé 2 456 scanners, des examens effectués entre le 1er novembre 2019 et le 30 avril dernier. Résultat : 16 scanners sont estimés « typiques Covid-19 » en novembre et décembre, avec deux premiers cas les 16 et 17 novembre. Un cas datant du 2 décembre « est certain, toutes données confondues », assure Michel Schmitt auprès de France info. D’autres, encore plus précoces, doivent encore être confirmés. Le médecin est néanmoins confiant car « les signes sur un scanner du Covid-19 sont très typiques ».
Nous étions au mois de novembre, décembre, et nous étions nombreux à être frappés par des épisodes qualifiés de grippe, mais ces grippes s’accompagnaient aussi de perte de goût et d’odorat. Michel Schmitt à France info
Un coronavirus circulant dès la fin de l’année ? L’hypothèse ne surprend pas Olivier Bouchaud. Elle confirme une chose : le fait que « cette épidémie, avant de devenir cliniquement évidente, se diffuse dans la société sans que l’on s’en rende compte », explique le médecin. Le virus, qui aurait été repéré dès le 17 novembre en Chine, s’est « diffusé à bas bruit dans la population » française du fait de cas asymptomatiques, selon lui. Car comme le rappelle l’étude sur Amirouche Hammar, entre 18 et 23% des personnes contaminées par le nouveau coronavirus sont des porteurs sains. « Nos résultats (…) suggèrent que de nombreux patients asymptomatiques n’ont pas été diagnostiqués en janvier et ont contribué à la propagation de cette épidémie », soulignent les auteurs.
Ces cas n’ont pas forcément lancé l’épidémie
A ce stade, rien ne dit qu’Amirouche Hammar ou le patient de Colmar ont, dès le mois de décembre, joué un quelconque rôle dans la diffusion du nouveau coronavirus. « Il est très possible que le virus se soit retrouvé de manière ponctuelle sur le territoire dès le mois de décembre, avec l’arrivée du virus en Chine » quelques semaines plus tôt, prévient le virologue Etienne Simon-Lorière de l’Institut Pasteur. « Ce ne sont pas forcément ces cas qui ont lancé l’épidémie. »
Pour y voir plus clair, un séquençage du virus porté par le patient est nécessaire. Il est en cours, précise Yves Cohen à France info. Avoir ces éléments permettra de « retracer l’arbre de transmission et de faire le lien avec les virus que l’on voit circuler » ailleurs dans le pays. Nous savons déjà une chose, comme l’explique Le Figaro : contrairement à d’autres pays européens, une grande majorité des souches du nouveau coronavirus observées en France font partie du même « clade », c’est-à-dire de la même « famille » de virus.
Si le virus du cas de Bobigny ressemble à ce virus majoritaire en France, nous pourrons poursuivre l’hypothèse qu’il a été introduit plusieurs fois dans le pays. Si son virus est différent, nous pourrons conclure que cette chaîne de transmission s’est éteinte. Etienne Simon-Lorière à France info
Dix jours avant l’annonce du cas de Bobigny, une étude co-écrite par Etienne Simon-Lorière et publiée sur le site BioRxiv (en anglais) démontrait déjà que l’introduction du coronavirus en France datait de la mi-janvier. « Avec un intervalle de confiance relativement large, de mi-décembre à mi-février », précise le virologue. Les premiers cas repérés se situaient bien dans les Hauts-de-France, plus précisément dans l’Oise, « mais le patient zéro aurait pu venir d’ailleurs », insiste-t-il.
Des cas encore plus précoces bientôt découverts ?
En réalité, « il y a eu de multiples patients zéro », c’est-à-dire au moins « une dizaine d’introductions séparées du virus en France », estime Etienne Simon-Lorière. Plusieurs de ces introductions « n’ont pas contribué à la circulation intense du virus » sur le territoire, mais « il est très difficile de savoir lesquelles ». Pour le virologue, nombre de porteurs sains semblent « clairement » avoir contribué à cette propagation du virus, sans qu’il soit possible de le savoir. Parler de « patient zéro » pour Amirouche Hammar semble donc « complètement déraisonnable », conclut Olivier Bouchaud. Car « si cette recherche est généralisée dans les services de réanimation et d’infectiologie, rien n’exclut que l’on trouve d’autres cas dans quelques jours ou semaines ». Et potentiellement des cas encore plus précoces, d’après Yves Cohen.
L’étude parue dans l’International Journal of Antimicrobial Agents insiste bien sur la nécessité de nouvelles recherches, pour justement mieux comprendre les points de départ de l’épidémie en France. Yves Cohen, qui en est le co-auteur, affirme avoir « prévenu » la direction générale de la santé (DGS) et l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France de cette découverte. Il attendait, mardi 5 mai, un retour de leur part. Contactée par France info, la DGS explique que « le gouvernement est en contact avec les scientifiques et experts du sujet, afin d’obtenir de leur part une confirmation ou une infirmation ».
Dans un second temps, nous pourrions envisager d’autres enquêtes si elles s’avèrent nécessaires. La direction générale de la santé à France info.
Des examens rétrospectifs généralisés
Nombreux sont les hôpitaux, comme ceux de Colmar, Bondy et Bobigny, à réexaminer des dossiers passés. Yves Cohen évoque le cas de la Pitié Salpêtrière à Paris, ou de « certains hôpitaux dans le Grand-Est ». Les hôpitaux Raymond-Poincaré et Ambroise-Paré, dans les Hauts-de-Seine, ont débuté ces recherches lundi. Ils vont analyser les tests PCR de près de 2 000 patients, tous atteints d’une infection respiratoire entre le 1er novembre 2019 et début mars 2020. « Nous n’y avions pas forcément pensé avant. L’étude d’Yves Cohen nous a intrigués », raconte Djillali Annane, chef du service de réanimation médicale de l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches.
Il nous est apparu indispensable, d’un point de vue médical, de vérifier que nous n’étions pas passés à côté d’un diagnostic pour nos patients. Djillali Annane à France info.
Les premiers résultats de ces analyses sont attendus en fin de semaine. En parallèle, des centres nationaux de référence (CNR), au sein de l’Institut Pasteur, testent des échantillons reçus à travers la surveillance annuelle de la grippe. Le principe est proche de celui mené par les hôpitaux : analyser ces échantillons pour y repérer de potentiels cas précoces de Covid-19. « Déjà une bonne partie d’entre eux sont négatifs. Nous n’avons pas encore de cas positifs », précise néanmoins Etienne Simon-Lorière. Même si ces recherches continuent, le virologue « doute qu’on arrive à vraiment retracer les premières introductions » du virus en France.
Je crains qu’une partie de l’histoire reste toujours un mystère. Etienne Simon-Lorière à France info
Un constat partagé par Olivier Bouchaud, de l’hôpital Avicenne. Ce dernier est conscient que cette recherche des premiers cas « ne fera pas revenir les patients décédés » et ne « changera pas fondamentalement les choses ». « Mais pour un virus nouveau, mieux comprendre les chaînes de propagation est très important, pour tenter de le contrer plus facilement s’il revient, défend-il. Nous avons toujours intérêt à comprendre. »
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