Préface du livre d’Hervé Chapron et Michel Monier « 5 leçons pour penser le social au XXIe siècle » par Patrice Corbin

« La Protection Sociale doit devenir une idée d’avenir » telle est la première phrase du livre d’Hervé Chapron et de Michel Monier. Pour nous en convaincre les deux auteurs qui ont consacré une grande partie de leur vie professionnelle à la Protection Sociale se veulent pédagogues et militants ; pédagogue dans les deux chapitres qui nous rappellent l’Histoire de la Protection Sociale et son poids économique ; militant dans les trois derniers chapitres et d’une manière générale par la tonalité du livre dont le style souvent percutant nous invite à la réflexion.

Les auteurs regrettent tout d’abord la pauvreté des analyses consacrées à la Protection Sociale : « obnubilé par les masses financières, on a oublié ce qu’était la Protection Sociale, comment elle s’était constituée, voir tout simplement ce que social veut dire ».

Dans l’esprit du public ce terme évoque une énorme masse d’argent qui représente 33 % du PIB, et qui est, tout le monde le sait : une charge, un trou à combler, bref d’abord un problème de financement.

Trois éléments règnent malheureusement en maître dans le discours public et sont autant de menaces pour notre modèle de Protection Sociale : la confusion, le simplisme, et l’universalisme bien-pensant.

La confusion : tout est dans tout et inversement : le budget de l’État est celui de la sécurité sociale, l’impôt et la cotisation sociale, l’État et les Partenaires Sociaux ; tout cela confondu dans la notion de prélèvements obligatoires et de la dépense publique : bref une charge vous dis-je qu’il faut alléger.

Le simplisme : mais un simplisme orienté. On entend cette petite musique mortifère du : « tout serait tellement plus simple s’il n’existait qu’un filet de sécurité pour les plus démunis et pour les autres le marché y pourvoirait ».

L’universalisme bien-pensant : qui est vraisemblablement la résultante des deux premiers éléments avec un soupçon de mauvaise conscience. Dans ce domaine le toujours plus est aussi une menace. Notre système n’est certes pas parfait ; la pauvreté subsiste dans notre société ; mais on ne peut aussi tout demander aux seuls mécanismes de Protection Sociale.

Hervé chaperon et Michel Monier ont donc entrepris de faire œuvre pédagogique. Ils refusent le terme d’État providence et expliquent dans leur livre que la Protection Sociale n’a rien à voir avec la providence mais avec les luttes sociales et ne concerne que pour partie l’État ; rappelant qu’il s’agit d’une construction par strates, mettant en œuvre des mécanismes dont il ne faut pas oublier les logiques propres.

En effet, historiquement le mécanisme fondamental est celui de l’assurance ; il s’agissait de couvrir les risques individuels d’abord santé, vieillesse, famille puis chômage.

L’ajout du terme social à un mécanisme assuranciel tiens vraisemblablement à son mode de financement ( participation obligatoire de l’employeur) et en tous cas dans le domaine de la Santé au principe d’un financement en fonction des revenus et de prestations en fonction des besoins.

L’intérêt de ce rappel historique est triple : d’une part marquer l’importance dans notre modèle de Protection Sociale d’un mécanisme collectif de protection : l’assurance ; et partant du lien social qui sous-tend ce mécanisme et le conforte ; d’autre part, conséquence logique figurant dans les ordonnances de 1945 la gestion par les intéressés ; et enfin la différence bien marquée avec les mécanismes d’assistance qui ne relèvent pas au premier chef et uniquement de la Protection Sociale.

En 75 ans, la France a bien évidemment considérablement changé, et ces mécanismes de protection individuelle ont fini par couvrir l’ensemble de la population, et ont pris une telle importance financière que l’essentiel, c’est-à-dire le lien entre protection collective, citoyenneté, lien social et démocratie a été perdu de vue.

A cet égard, le déclenchement de la pandémie du covid-19 conforte les conclusions de ce livre. Le modèle social qui est le nôtre ne peut plus (et ne doit plus) être appréhendé sous le seul angle de la protection individuelle contre les risques de la vie. Ces mécanismes assuranciels doivent également être perçus comme des fonctions collectives indispensables au bon fonctionnement d’une société démocratique, mais également indispensables au bon fonctionnement de l’économie. L’Assurance retraite assure la fonction économique de régulation du revenu sur une durée de vie ; l’Assurance chômage celle de la mobilité de l’emploi. Les différents éléments de la politique familiale contribuent à l’augmentation du taux d’emploi féminin tout en assurant le renouvellement de la population. Nous savons maintenant après la pandémie que la santé n’est pas qu’une consommation individuelle, mais une fonction collective au titre de la défense nationale, comme elle, susceptible d’arrêter l’économie. La Protection Sociale est bien une idée d’avenir !

Patrice Corbin
Ancien Secrétaire Général du CESE
Conseiller maître honoraire à la cour des comptes
Membre du Comité directeur du Cercle de Recherche et
d’Analyse sur la Protection Sociale