Pierre Chaperon

Pierre Chaperon

P3S ayant constaté que le rôle pourtant très important du Comité de Suivi des Retraites (CSR) qui est une instance indépendante chargée de donner un avis public sur l’état du système de retraite et sur sa trajectoire d’équilibre, est peu connu, voir pour certains inconnu et que nous savons que les perspectives du régime de retraite sont lourdement affectées par les effets de la crise sanitaire (déficit estimé avant deuxième confinement à 23,4 Md € en 2020.
P3S a demandé à Pierre Chaperon, expert dans ce domaine et qui est aujourd’hui Conseil au Cabinet Galéa de bien vouloir nous aider à décrypter ces 60 pages d’une littérature technique et parfois aride qui, pour ces raisons peut être, passent souvent inaperçues et plus particulièrement aujourd’hui dans une actualité concentrée sur la crise sanitaire.

http://www.csr-retraites.fr/textes/7e_avis_du_comite_de_suivi_des_retraites.pdf

 

Interview a été réalisé le 18 janvier 2021

P3S – Ce comité, à l’inverse du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) est peu connu, voir pour beaucoup inconnu. Comment peut-on l’expliquer ?
Pour cela, il faut bien comprendre que ses travaux ne sont en rien concurrents de ceux du COR et pour le dire simplement : le COR est un observatoire qui éclaire le terrain tandis que le CSR émet un avis sur la base, et donc en aval, de cet éclairage initial.
Il faut bien réaliser qu’il a un rôle de vigie sur notre système de retraite puisqu’il doit adresser aux Gouvernements des recommandations publiques lorsque le système s’écarte de façon significative de ses objectifs.
L’avis du comité, transmis au Premier Ministre, émane de personnes qui font autorité telles que Didier Blanchet, l’actuel Président, et Yanick Moreau, membre du comité après en avoir exercé la Présidence.
Pour répondre à votre question de façon plus anecdotique, le comité a l’habitude de rendre ses avis à des périodes peu propices à une bonne attention des observateurs et des médias. Il le fait à la mi-juillet en temps normal et ensuite juste avant « la trêve des confiseurs ». Il a donc rendu son avis : le 21 décembre dernier, en raison d’un exercice décalé lié au contexte que nous connaissons.
Et puis, le CSR intervient « one shot » chaque année, ce qui ne permet pas de l’installer véritablement dans le paysage.

P3S – Quelles sont les grandes lignes de la contribution du CSR ?
Il faut bien noter que dans ce qui constitue son septième avis, le Comité s’exprime avec la plus grande prudence dans un contexte marqué par tant d’incertitudes concernant tant l’ampleur des dégâts et du freinage de l’économie que de l’espérance d’un rebond vigoureux en sortie de crise.
Il ne s’estime pas en mesure d’émettre à proprement parler de recommandations au Gouvernement à un moment où, « crise oblige », nous ne pouvons que subir les déficits.
Il n’en demeure pas moins qu’au travers d’une écriture dont nous admirerons le caractère rigoureux et ciselé, le comité délivre un certain nombre de messages très forts.

P3S – Pourriez-vous nous en décrypter quelqu’un ?
Le CSR note que dans la plupart des projections, le système de retraite « reste sous-financé les 25 prochaines années » et ce, dans les hypothèses les plus optimistes.
Constatant que la période actuelle ne peut que conduire à l’accroître l’endettement, il avertit que ce dernier « ne saurait constituer une stratégie durable ».
En effet, il ne serait pas raisonnable de s’installer dans des solutions de facilité, comme le fait de piocher significativement dans les réserves des régimes ou d’avoir durablement recours à l’endettement au regard d’un contexte de taux favorable.
Il rappelle que le principe même de la répartition est que les retraites, de la période en cours, sont financées par les cotisations du moment.
S’il est justifié en période de crise de solliciter d’autres financements (comme la dette), il doit s’agir d’une parenthèse exceptionnelle qui suppose de revenir rapidement au principe selon lequel les prestations servies sont la contrepartie directe des cotisations courantes des actifs.

Pour s’attaquer au mur de la dette, le CSR estime que dans le court terme, il ne serait pas illégitime de réfléchir à une poursuite de la sous indexation des pensions pour viser un « partage parallèle des conséquences de la crise entre actifs et retraités ».
Pour être supportable, cet effort demandé aux retraités devrait être planifié sur quelques années de façon à éviter les coups d’accordéon liés aux phases « de stop and go » de la crise et prendre garde de préserver les petites pensions.

P3S – Dans le cadre du partage des efforts, une contribution des actifs et des entreprises par un relèvement de taux est-elle une voie possible ?
Le comité pense que la voie consistant à relever le niveau des cotisations ne peut être actionné au regard des comparaisons internationales, mais surtout du caractère contra-cyclique d’une telle option qui aurait, en outre, pour effet de mobiliser des dépenses publiques en lieu et place des mesures d’urgence collective post-crise

P3S – L’âge de la retraite en France n’est-elle pas une question ?
Le comité estime qu’il y a effectivement des marges, au regard d’une durée passer en retraite qui augmente en fonction de l’accroissement de l’espérance de vie dès lors, bien sûr, qu’il serait vérifié que la période actuelle ne remettrait pas significativement en cause cette tendance.
Au-delà d’une évolution de l’âge homothétique à celle des gains d’espérance de vie, le comité relève qu’une révision à la baisse des taux de remplacement, « compte-tenu de son niveau moyen élevé » pourrait être de nature à participer à l’équilibrage du système.
Toutefois, le comité relève que les ajustements à opérer se heurtent à l’hétérogénéité du système de retraite nationale (les 42 régimes) et tout spécialement à la dualité privé/publique.

P3S – En vous écoutant, nous pourrions nous demander s’il n’est pas souhaitable de reprendre le dossier de la réforme des retraites ?
Exactement, puisqu’il est noté explicitement que ces différences constituent un « bon exemple des problèmes auxquels visait à répondre la mise en place d’un régime universel et qui continuent à appeler une réponse » ou encore, « reprendre cette démarche d’harmonisation reste souhaitable aux yeux du comité ».
Indépendamment des simplifications pour les assurés, le comité pointe le fait que l’éclatement du système de retraite ne facilite pas un pilotage performant.
Le comité invite à tirer les conséquences des difficultés rencontrées dans le processus de réforme brutalement interrompu par la crise ; réforme dont il pointe en creux l’insuffisante de préparation.
Il plaide à cet égard pour une instruction préalable poussée pour définir un système cible et pour approfondir les conditions techniques de sa mise en place.

P3S – Le Comité ne s’interroge-t-il pas également sur la comitologie pour présider à ces réflexions ?
Oui, en faisant sans doute référence à la multiplicité des instances qui sont intervenues dans la réforme interrompue, le comité pense nécessaire de préciser dès à présent un nouveau cadre de réflexion et d’arbitrage pour les évolutions de notre système de retraite.
J’émettrais un regret quant au fait que jamais, dans les développements très complets du rapport, ne soit envisagée la question de la place de la retraite supplémentaire et de l’épargne dans notre système de retraite.
Ne serait-il pas souhaitable que la gouvernance renouvelée appelée de ses vœux par le CSR intègre cet aspect, dont nous comprendrions mal qu’il demeure un angle mort dans un contexte où un certain nombre de réflexions contribueraient explicitement à une baisse des taux de remplacement.
Les outils existent pourtant avec la loi « Pacte » pour les salariés du privé et le Régime Additionnel de la Fonction Publique (RAFP) pour les fonctionnaires.

P3S – Quelles devraient être pour vous les prochaines étapes ?
Elles sont proches puisque le comité donne rendez-vous à la mi-juillet pour son prochain avis.
Il reste bien sûr à souhaiter que le comité soit à ce moment-là, en capacité d’émettre des recommandations en pouvant s’appuyer sur une conjoncture stabilisée, permettant de se projeter dans l’avenir, ce qui est malheureusement impossible aujourd’hui.
Gageons que cet avis, gagnerait à être mieux connu, pour que le Comité de Suivi des Retraites puisse pleinement jouer son rôle d’aiguillon auprès des pouvoirs publics pour le devenir de notre système de retraite national.

Je tiens tout particulièrement à remercier Pierre Chaperon d’avoir accepté de répondre à nos questions.

Jean-Hubert de Kersabiec
Président de P3S