Les crises sont de grandes donneuses de leçons pour être « accélératrices », elles doivent être « prise de conscience ».

Le 23 mars 2021 – journal les Échos – Michel Monier et Hervé Chapron, membres du think tank CRAPS

La crise sanitaire, avec ses conséquences économiques et sociales, n’échappera pas à cette règle à condition de se départir de l’émotion légitime et de la critique-réflexe de l’action publique qui n’était pas à l’évidence préparée à la gestion de cette crise mondiale.
Le retour à « meilleure fortune », celui des « jours heureux » impose cet exercice sans lequel l’Histoire deviendra le cimetière des espoirs perdus.

La première leçon qu’il faut pouvoir retirer est celle de ces « petits métiers » que l’on trouvait soudainement indispensables lors du premier confinement. Ces métiers de la deuxième ligne dont nombre d’entre eux risquent de venir grossir encore les rangs des « travailleurs pauvres » ou les rangs des chômeurs de longue durée majoritaires depuis des décennies dans la structure sociologique de notre chômage de masse. Certes, des métiers nouveaux émergents, ceux de la transition énergétique, ceux de l’économie numérique. Alors, après les applaudissements et bien davantage que des primes, il faut pouvoir offrir à ces indispensables un système de formation et de transition professionnelle qui ne les laissera pas « au bord du chemin ». Leur offrir, au-delà des « Ségur », de la perspective !

Une deuxième leçon est celle de l’inadaptation des politiques de métropolisation, de concentration urbaine, ce mode indépassable de la civilisation post-industrielle. Avec le virus, les villes sont redevenues barbares, alors que les « territoires périphériques », les villes moyennes, retrouvaient des attraits s’affirmant comme un moyen de distanciation sociale adapté au télétravail. À sa façon, le virus, après les Gilets jaunes, incite à revoir les objectifs des politiques de la ville et à repenser celle aussi de l’attractivité des territoires, à décentraliser pour réaménager.

Une troisième leçon porte sur les réflexes normatifs de notre Administration qui sont venus, trop souvent et jusqu’à la caricature, brouiller l’action politique. La précaution administrative a entravé la gestion de crise. Ce n’est pas le trop peu, mais le trop-plein d’administration qui en est la cause. L’Administration, ce Gulliver empêtré dans ses cordes, a confisqué la politique de gestion de crise, anesthésié le politique au point de le faire mentir devant le peuple.

La quatrième leçon, conséquence de ce trop-plein d’administration est celle de la nécessité de conférer aux « actes de décentralisation » une réalité opérationnelle qui ne peut s’incarner qu’à travers la responsabilisation des niveaux régionaux. La macrocéphalie des administrations centrales doit céder de la place aux autorités régionales. Les oppositions entre « Paris » et les Régions sont d’un autre âge, celui du siècle précédent et devraient n’être que des souvenirs d’un « monde d’avant ».

Une cinquième et déchirante leçon devrait aussi s’imposer à la réflexion. Nos « exceptions françaises », celle pour la dette, celle pour le chômage, celle pour les aides à l’emploi et les subventions pour la compétitivité ont fragilisé, bien davantage que conforté, l’économie nationale. L’intervention massive de l’État était certes nécessaire parce qu’il devait confiner.
Mais elle était d’autant plus nécessaire que la société est aujourd’hui socialisée, bureaucratisée. Cette cinquième leçon, c’est celle de la nécessaire « désocialisation » de la société française dont les acteurs doivent réapprendre la responsabilisation, qu’ils soient salariés ou employeurs.

Le confort de l’État-édredon, successeur de l’impécunieux État-providence, en voulant préserver le citoyen de tout risque a fini par étouffer la société et le politique. Alors, au-delà de l’émotion et du réflexe de la critique de l’insuffisance du politique, la crise sanitaire oblige à repenser, non seulement la politique de santé publique, mais bien d’autres. Elle doit faire repenser les périmètres, les moyens et les objectifs de l’action publique. La main de l’État, pour être plus efficace et agile en période de crise se doit d’être moins visible en « temps de paix ».

Michel Monier et Hervé Chapron Respectivement Anciens Directeurs Généraux Adjoints de l’Unedic et de Pôle Emploi, sont également membres du Think Tank CRAPS – Cercle de Recherche et d’Analyse sur la Protection Sociale. Ils sont également, Co-auteurs de « 5 leçons pour penser le social au XXIe siècle » édité par le CRAPS, juillet 2020, ils ont publié le 29 mars 2021 « Penser le social, 5 nouvelles leçons »