Le 23 septembre 2021 – Hervé Chapron et Michel Monier « les Échos »

Si chacun s’accorde à penser que l’État-Providence est à bout souffle, l’État-Nounou, stade avancé de la socialisation de la société française, a un avenir radieux. C’est l’un des principaux enseignements que nous livre le sondage Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques, réalisé par l’IFOP, publié le 9 septembre dernier.

À la question : « à la lumière de la crise du Covid-19, diriez-vous que l’État en France n’a ni trop, ni pas assez de missions », 41 % des français optent pour le statu quo.
Après les errements administratifs dans la gestion des approvisionnements en masques, la pagaille indicible pour tester la population, la politique normative et paralysante des ARS, l’incapacité d’organiser une passerelle entre médecine publique et libérale, les français n’envisagent pas que l’État, ce Gulliver empêtré dans ces cordes, puisse réduire son périmètre d’intervention de façon drastique.
Pire, ou mieux, 28 % affirment qu’il est absent de grands secteurs importants pour notre pays et devrait élargir son périmètre !

Puisque le Président de la République se félicite que « l’État a tenu », le doute est donc permis : ce n’était pas acquis ! Il a tenu malgré l‘abandon depuis la fin des Trente glorieuses de son rôle de stratège, délégant la politique économique à une hypothétique main invisible, se conservant la mission de développer une politique active de redistribution des revenus en même temps qu’une recherche de gains de pouvoir d’achat.

La mondialisation subie et proclamée « heureuse » a dynamité la valeur travail, asséché les cotisations sociales que l’impôt là encore au prétexte de pouvoir d’achat a désormais suppléé. La dette sociale atteint désormais des sommets. Alors pour cacher la misère, certains veulent la fusionner avec la dette publique à travers le budget… de l’État.

Les récentes affaires Alsthom (2014) ou Bridgestone (2020) sont suffisamment cruelles pour comprendre que la politique économique en général et industrielle en particulier, indispensables à la création de valeur ne sont plus au cœur des préoccupations des Pouvoirs publics.
Faute d’un plan « réducteur d’incertitudes2 », les gouvernements feignent alors d’être organisateurs du nouvel ordre économique mondial dont ils ne sont pas les véritables acteurs.
Défaillant au plan stratégique,

l’État serait-il excellent élève en termes de gestion ? Là encore le doute est permis. Le coût des services publics en France atteint 18 % du PIB. L’incapacité à faire sur ces 400 milliards des économies n’illustre-t-elle pas bien davantage que ce n’est pas « la société civile » mais bien « la société publique » qui n’est pas réformable ?

L’État en « jacobinisant » ses décisions autoalimente sa propre machine sans pour autant dégager des gains de productivité.
En se dénaturant dans la gestion, l’État a abandonné son rôle de régulateur pertinent devenant un prescripteur universel, un opérateur coûteux.
Il a perdu tout naturellement son rôle de garant pour se métamorphoser en gérant. Il est, aujourd’hui, obèse, « statufié » incapable de se mouvoir avec agilité dans l’urgence tant la dictature de la norme est présente dans son quotidien. Il devrait d’abord s’obliger à évaluer ses politiques publiques.

Quels sont concrètement les effets des allègements et exonérations de « charges sociales » en tout genre qui jalonnent l’histoire économico-sociale depuis la fin des Trente glorieuses ?

Quelle efficacité réelle des quelques 60 dispositifs d’aides à l’embauche qui ont coexisté à un moment ou à un autre ? En d’autres termes combien de milliards dilapidés par reconduction automatique de méthodes stériles, par méconnaissance de compétences effectives ?

Que penser après 40 ans de préférence pour le chômage de cette nouvelle étape franchie avec cette incitation au chômage qu’a été, en pleine crise sanitaire, le recrutement de saisonniers éligibles à l’Assurance chômage avant même d’avoir travaillé ? Que penser de l’empilement des plans qui ont constitué la politique de la ville…Dépenser n’est pas nécessairement agir !

Les français tiennent à l’État…Quoiqu’il leur en coûte !
À la question « qui sont aujourd’hui les mieux placés pour exercer les missions que l’État pourrait transférer », les Français pensent que les acteurs les plus aptes à récupérer ces missions sont les régions (45 %), devant les départements (44 %) et les communes (34 %). La demande de services de proximité est donc clairement exprimée.
Pour autant, la décentralisation commencée en 1981 est encore très largement inaboutie ; le pilotage du Service public de l’emploi est aujourd’hui national alors que les politiques de développement économique sont territoriales ; notre système de santé, plutôt que « d’être fondé sur un principe d’efficacité, repose d’abord sur la notion de statut (public, privé, à but non lucratif, libéral) de l’établissement ou du professionnel3 ».

Loin de penser comme Charles Dunoyer que : « Quand l’État veut faire le bien il le fait mal, quand l’État veut faire le mal il le fait bien », le périmètre d’intervention de l’État, ses méthodes…, ce qui pourrait constituer la mère des réformes, devraient être débattue en termes de débat de société lors de la campagne de la prochaine élection présidentielle. Il est fort à parier qu’il n’en sera rien ! L’État tiendra, il tiendra au prix d’un nouveau… « quoi qu’il en coûte » !

Hervé Chapron et Michel Monier sont membres du think tank CRAPS (Cercle de Recherche et d’Analyse sur la Protection Sociale).
Ils sont respectivement Anciens Directeurs Généraux Adjoints de Pôle emploi et de l’Unedic.