Interview sur le chômage partiel, une réponse immédiate a la crise économique et sociale
Vendredi 16 octobre 2020 – Michel Monier
Michel Monier, ancien Directeur Général Adjoint de l’UNEDIC a accepté de bien vouloir répondre aux questions de « P3S » que beaucoup d’Entreprises et de Salariés se posent sur le fonctionnement du « Chômage Partiel »
En effet, l’assurance chômage est redevenue d’actualité avec le recours au chômage partiel ; ce dispositif a joué un rôle majeur pendant le confinement puis dans le cadre des mesures de soutien pour la relance.
Cette pandémie et la crise économique et sociale qui en résulte est effectivement un moment particulier et pour notre « modèle » de Protection sociale et majeur pour l’Assurance chômage. Ce moment illustre que l’Assurance chômage c’est à la fois soutien aux salariés sans emploi mais aussi soutien aux entreprises, donc à l’économie.
Il faut rappeler un peu d’histoire de la protection sociale pour dire ce qu’est l’Assurance chômage. Cette histoire ne commence pas seulement avec le CNR (dont on n’aura jamais autant parlé) ni en 1958 quand le général De Gaulle invite les partenaires sociaux à élaborer une assurance contre le risque de privation de l’emploi.
En remontant rapidement l’histoire c’est à Colbert qu’il faut s’arrêter pour voir, en 1673, la création de « caisses mutuelles » qui devaient permettre de pourvoir aux besoins des équipages de la Marine Royale, entre deux embarquements, afin de s’assurer de leur disponibilité le moment venu.
On peut voir là les fondements de ce qu’est l’Assurance chômage : indemniser et faciliter le retour à l’emploi, cette deuxième mission étant trop souvent oubliée.
L’indemnisation du chômage « total », la possibilité de cumuler une (faible) rémunération avec un complément d’indemnisation, le chômage partiel (que l’on nomme techniquement « activité partielle ») en sont les illustrations aujourd’hui.
Le recours massif et étendu à ce dispositif du chômage partiel depuis mars 2020 c’était pour assurer un revenu aux salariés des entreprises sans activités et aussi les « conserver » dans la perspective de la reprise. C’était la seule chose à faire !
P3S – On a donné des chiffres allant jusqu’à 10 millions de salariés ayant « bénéficié » de ce dispositif d’indemnisation …
8, 10 et même 12 millions de salariés. Ce sont les chiffres que l’on peut retenir … mais ils ne disent pas ce qu’est la réalité du recours au chômage partiel. Un salarié au chômage partiel ne l’est pas forcement un mois complet, ni une semaine complète. Il peut l’être « quelques heures » dans le mois. La réalité demande une précision qui ne « colle pas » avec ce qu’est l’information, elle demande de la précision … qui peut nuire au débat. Il y a pu avoir 12 millions de salariés qui ont été, au moins une heure en chômage partiel.
L’Unedic a publié, en septembre, une étude « Activité partielle : premier bilan depuis la crise du covid-19 ».
L’intitulé appelle à la prudence : il devra y avoir d’autres bilans. L’Unedic dresse ce bilan non pas en nombre de bénéficiaires mais en nombre d’heures indemnisées au titre du chômage partiel.
Le nombre d’heures indemnisées est faramineux et ce qui l’est encore davantage c’est la comparaison faite avec la situation observée lors de la crise de 2008/2009.
Pour 2020 ce sont 6,6 milliards d’heures de chômage partiel qui ont été, à date de septembre, autorisées. En 2009 il y en avait eu, « seulement » 260 millions ! plus de 20 fois plus, voilà ce qui permet de mesurer l’ampleur des conséquences sociales et économiques de la crise sanitaire. Et qui illustre aussi ce qu’est l’Assurance chômage : nécessaire, réagissant à la conjoncture économique.
Pour que ces 6,6 milliards d’heures « parlent » ce sont l’équivalent, rapidement calculé, de 5 millions d’homme/mois. 5 millions de salariés ! Pour être inférieur aux chiffres qui ont fait l’actualité il reste tout autant alarmant quant aux conséquences économiques et sociales de l’inévitable confinement.
Une réalité alarmante pour l’économie qui illustre ce qu’est l’indispensable « filet de sécurité » de l’Assurance chômage qui aura été, et reste, une nécessaire réponse, tant pour l’individu que pour les entreprises.
P3S – L’activité partielle a donc fonctionné, mais comment ça marche ?
Le dispositif mobilisé à partir du confinement est un dispositif adapté à cette période « imprévue ». Un dispositif adapté et évolutif. Adapté car l’AP a été ouverte à des publics qui ne pouvaient bénéficier de l’activité partielle telle qu’elle avait été déjà simplifiée et dopée en 2013. Evolutif aussi avec 3étapes.
De mars à mai 2020, 70 % de la rémunération horaire brute de référence (limitée à 4,5 Smic) puis de juin à octobre, 60 % de la rémunération avec des « exceptions » qui continuent à bénéficier des 70% (les secteurs particulièrement affectés par la crise sanitaire, les entreprises de secteurs faisant l’objet de restrictions législatives ou réglementaires particulières) ; et il faut souligner, le dispositif de l’activité partielle de longue durée, depuis le 1er juillet 2020, avec comme contrepartie un accord collectif et l’engagement de maintien dans l’emploi.
Les récentes mesures décidant de « couvre-feu », et leur conséquence sur certaines activités, font encore évoluer ce dispositif.
Un encadré (source Unedic : « activité partielle : premier bilan depuis la crise du covid-19 ») détaille le dispositif.
P3S – Combien d’indemnisés, comment ça marche, il reste une question : combien ça coûte ?
La question vient inévitablement ! et la réponse c’est de l’ordre de 40 milliards €, financés à hauteur de 2/3 par l’Etat et 1/3 par l’Unedic. Mais cette réponse est insuffisante ; ces 40 Mds c’est le prix qu’il faut payer pour maintenir un revenu à 5 millions de salariés (on a pu parler de « nationalisation des salaires » !), leur permettre de conserver leur contrat de travail et donc permettre aux entreprises de conserver les compétences. 40 milliards c’est le coût de la protection sociale.
La question qui suit est celle du financement de ces 40 Mds. Et, le « modèle économique » de l’Assurance chômage est qu’elle dépense beaucoup quand l’économie déprime et quand les recettes s’effondrent.
Les prévisions sont, pour les cotisations d’assurance chômage, une baisse de l’ordre de 16% … et des dépenses en augmentation, toutes allocations cumulées, de plus de 40% !
Le coût, financier, de l’activité partielle ce sera donc celui des emprunts, de l’Etat et de l’Unedic, qui « combleront » le déficit.
Il ne faut donc pas, me semble-t-il, se contenter de dire « 40 milliards ». Le coût du dispositif du chômage partiel, adapté à cette situation issue de la crise sanitaire, doit être apprécié selon plusieurs critères : financier bien sûr mais aussi économique et social.
Du point de vue social ce dispositif a certainement été le dispositif majeur qui a permis à de confiner des millions de foyers dont les revenus ne pouvaient plus être assurés, totalement ou partiellement, par les entreprises. L’Unedic, au-delà de sa mission d’indemnisation de la perte d’emploi, et l’Etat ont assuré une mission de redistribution, inédite.
En raison de l’épidémie de Covid-19, le dispositif a été à nouveau réformé afin de limiter les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire. Dans le cadre de cette réforme, outre l’extension temporaire du dispositif à de nouveaux bénéficiaires (Particuliers Employeurs, Salariés de droit privé d’employeurs de droit public, etc.), l’allocation versée aux entreprises a été revalorisée et modulée :
- Du 1er mars au 31 mai 2020, elle a été portée à 70 % de la rémunération horaire brute de référence (limitée à 4,5 Smic) afin de neutraliser le coût de l’activité partielle pour les employeurs avec un minimum de 8,03 € (étant donné que l’indemnité versée au salarié ne peut pas être inférieure à ce seuil) ;
- Du 1er juin au 31 octobre, elle a été portée à 60 % de la rémunération horaire brute de référence (limitée à 4,5 Smic), hormis pour les entreprises de secteurs particulièrement affectés par la crise sanitaire (« secteurs protégés » : tourisme, restauration, sport, culture, évènementiel, etc.) et les entreprises de secteurs faisant l’objet de restrictions législatives ou réglementaires particulières, qui continuent d’être indemnisées à hauteur de 70 % de la rémunération horaire brute de référence (limitée à 4,5 Smic). Durant cette période, l’allocation minimale perçue par l’employeur s’élève à 8,03 €.
- En outre, un dispositif spécifique d’activité partielle de longue durée (APLD) s’applique depuis le 1er juillet 2020. La mise en œuvre de l’APLD est conditionnée à la conclusion d’un accord collectif comportant notamment des engagements de maintien dans l’emploi et validé au préalable par l’autorité administrative. Ce dispositif est applicable pour 6 mois renouvelables, dans la limite de 24 mois et est limité aux accords transmis pour validation à l’autorité administrative. La réduction de l’horaire de travail d’un salarié ne peut dépasser 40 % de l’horaire légal par salarié, sur la durée totale de l’accord.
(…) Depuis le 1er mars 2020, l’allocation d’activité partielle n’est plus forfaitaire mais est proportionnelle à la rémunération brute de référence, avec un taux variable selon les secteurs d’activité
Du point de vue économique, les contrats de travail ont été maintenus, au moins transitoirement, garantissant ainsi la disponibilité des compétences. Le flux de revenus ainsi garanti a soutenu la consommation (et gonflé les « bas de laine »).
Financièrement, les ressources qu’il faudra affecter au déficit résultant du chômage partiel … c’est l’une des conséquences assumées du « quoi qu’il en coûte ».
C’est avec ces divers critères que l’on peut apprécier le « coût » du chômage partiel et celui aussi de l’Assurance chômage qui est allé, là, au-delà de sa mission … mais c’est un autre débat.
Michel Monier, ancien Directeur Général Adjoint de l’UNEDIC. Membre du Cercle de réflexion et d’analyse de la Protection Sociale, Think-Tank CRAPS, est également l’auteur, avec Hervé Chapron, ancien Directeur Général Adjoint de Pôle emploi, membre du CRAPS, du livre « 5 leçons pour penser le social au XXI° siècle », édité par CRAPS.
Ils ont également publié, une série de tribunes consacrées au Paritarisme et à la Protection Sociale, dans Les Échos-Opinion et Le Monde