NADIA ENG

Le 22 janvier 2021 – NADIA ENG Actuaire et Manager au Cabinet Galéa & Associés

Les « fonds de pension à la française » suscitent un regain d’intérêt porté par la loi Pacte, et un contexte de taux durablement bas.

Plus de trois ans après le lancement des « fonds de pension à la française » et après des débuts plus modestes qu’escomptés, les FRPS (1) suscitent un regain d’intérêt et marquent l’année 2020 par la création ou l’annonce de nouvelles structures parmi les acteurs majeurs du marché de l’épargne retraite.

Comment expliquer ce retour en force des FRPS ? La loi Pacte, sur fond de taux durablement bas, joue indéniablement un rôle d’’accélérateur dans cette dynamique qui va certainement se poursuivre dans les deux prochaines années.
Pour comprendre les avantages présentés par ces structures dédiées à la retraite supplémentaire, il faut revenir sur la genèse de leur création et sur les grands enjeux techniques, financiers et prudentiels portés par la gestion de risques longs tels que la retraite.

L’ORIGINE DU FRPS

Dans le paysage européen, les produits de retraite supplémentaire peuvent être gérés dans deux cadres distincts : celui des entreprises d’assurance relevant de la Directive Solvabilité 2 et celui des fonds de pensions relevant de la Directive IORP, cette dernière option étant privilégiée à l’échelle européenne. La Directive IORP 1, promulguée le 3 juin 2003, a permis d’instaurer un cadre prudentiel harmonisé et sécurisé et offre un cadre de gestion plus souple que Solvabilité 2. Avant 2017, le contexte français de la retraite supplémentaire faisait figure d’exception : la gestion des produits retraite relevait de l’industrie de l’assurance. Au moment de la transposition de la Directive IORP 1 en 2006, la France avait opté pour une transposition limitée en se plaçant sous l’article 4 de la Directive, ce qui n’avait pas donné lieu à la création de véritables structures comparables aux fonds de pension européens. Les assureurs français ont eu la possibilité de gérer des contrats de retraite professionnelle supplémentaire au sein de cantons réglementaires dits RPS bénéficiant d’un moratoire pour appliquer les anciennes règles prudentielles assurantielles « Solvabilité » jusqu’au 31/12/2022. Dans les faits, peu d’opérateurs du marché ont demandé cet agrément spécifique et eu recours à cette possibilité de cantonnement RPS. Or, début 2016, le régime prudentiel de Solvabilité 2 est entré en vigueur et a suscité de vives critiques car jugé inadapté à l’horizon de gestion des risques de long terme, malgré certaines dérogations pour les « branches longues ».

Autre particularité du contexte français : l’épargne retraite demeure encore relativement peu développée par rapport à d’autres pays européens, cela étant expliqué pour partie par le poids historique des régimes de retraite obligatoires et par le fait que les produits d’assurance vie ont longtemps été plébiscités par les épargnants français, y compris dans l’objectif de préparer leur retraite. D’après les dernières statistiques publiées par l’EIOPA, les encours gérés par les fonds de pension s’élèvent à près de 1.860 milliards d’euros au UK et à près de 1.490 milliards d’euros au Pays-Bas à fin 2019. A mettre en perspective avec les 270 milliards d’euros français, pour près de 1.790 milliards d’encours gérés en assurance vie à fin 2019.
Face à ce constat et dans le contexte de la révision de la Directive IORP en 2016, les pouvoirs publics français ont promu les FRPS afin de dynamiser le marché de l’épargne retraite tout en visant le soutien au financement de l’économie à long terme. L’ensemble des textes structurant les nouveaux dispositifs FRPS ont été promulgués en 2017. Ils définissent les règles de constitution juridique et les règles techniques, comptables et financières régissant l’activité des FRPS. Surtout, ils mettent en place un régime prudentiel spécifique aux FRPS permettant d’’affirmer un retour aux règles de Solvabilité 1 agrémentées de « tests de résistance » pour les aspects quantitatifs, tout en préservant les avancées de Solvabilité 2 en matière de gouvernance et de gestion des risques.

La première étape de la réforme du marché de l’épargne retraite était enclenchée : la France était désormais dotée d’un véhicule dédié exclusivement aux opérations de retraite supplémentaire, bénéficiant d’un régime prudentiel dérogatoire à Solvabilité 2.

LE CADRE FRPS ET LA GESTION DU RISQUE RETRAITE

Un régime prudentiel et un cadre de gestion réfléchis pour le pilotage de l’épargne retraite.
Le véhicule FRPS se distingue en premier lieu par un cadre de gestion financière et prudentiel plus adapté à la gestion de risques longs. En effet, les exigences en capital s’extraient des calculs prospectifs en vision économique de Solvabilité 2 pour revenir aux règles Solvabilité 1 forfaitaires et basées sur les comptes sociaux. Ce retour au cadre social génère moins de volatilité des ratios de solvabilité pour le pilotage d’une activité à long terme. Ce régime prudentiel assoupli visait un retour vers une allocation d’actifs plus risquée permettant de tirer parti des performances des marchés actions et immobilier, levier de gestion actif-passif qui se trouve limité sous le référentiel Solvabilité 2. L’objectif est d’améliorer les espérances de rendement et in fine les revalorisations accordées aux assurés, en prenant des risques mesurés à long terme.

En complément, les exigences quantitatives en matière de solvabilité ont été augmentées de tests de résistance spécifiques visant à mesurer les besoins complémentaires éventuels en fonds propres à horizon 10 ans et sous l’hypothèse de trois scénarii de stress reflétant les principaux risques techniques et financiers auxquels un assureur retraite est exposé (dégradation des conditions de placement financier et longévité). Dans l’ensemble, les chocs des tests de résistance demeurent moins sévères que ceux de Solvabilité 2. D’ailleurs, des stress tests aggravés sont souvent mis en œuvre par les structures pour piloter leur solvabilité et/ou demandés par les autorités de contrôle dans le cadre des demandes d’agrément.

Si les règles comptables, techniques et financières reposent quant à elles, globalement, sur les règles classiques de l’assurance vie pour les engagements en euros, une adaptation a été introduite pour laisser la possibilité aux organismes FRPS d’allonger la durée de redistribution des participations aux résultats sur 15 ans contre 8 ans, ce qui offre plus de latitude pour lisser les chocs de marché sur un horizon plus en phase avec la duration d’engagements de retraite.

Des règles de gouvernance, de gestion des risques et de « reporting » comparables à Solvabilité 2
La gouvernance des FRPS et la gestion des risques s’appuient sur les mêmes outils que ceux introduits par la Directive Solvabilité 2. Les FRPS sont également soumis aux mêmes exigences en matière de communication au contrôleur et au public avec l’ajout d’un « reporting » spécifique au niveau européen.

Une information et une protection renforcée des souscripteurs et adhérents
Au sein des FRPS, les contrats de retraite sont logés au sein de comptabilités auxiliaires d’affectation ou cantons légaux auxquels un privilège spécial est associé pour les assurés. La relation aux souscripteurs se trouve renforcée au travers de l’introduction de comités de surveillance, veillant à la bonne exécution des contrats collectifs dénombrant plus de 5.000 adhérents. Plusieurs rapports de gestion doivent être mis à disposition dont le rapport triennal sur la politique de placements et les risques techniques et financiers du FRPS.

L’IMPACT DE LA LOI PACTE

Au lancement des FRPS, des réflexions ont été menées par bon nombre d’opérateurs retraite mais n’ont abouti qu’à peu de demandes d’agréments (3 organismes agréés FRPS à fin 2018). Pourquoi un engouement modéré pour une réforme qui s’annonçait pourtant prometteuse ? Tout d’abord, l’analyse « opportunités / risques / coût » dépend fondamentalement des portefeuilles transférables et du business model de la structure d’assurance initiale. Sur le premier point, la détermination d’un encours transférable critique peut se heurter au risque de refus de certains clients. Sur le second, et selon les contextes, le recours à la réassurance, l’utilisation d’un modèle interne et/ou l’optimisation des traitements sous Solvabilité 2, les leviers de mutualisation des résultats avec d’autres opérations d’assurance-vie surtout pour les opérations avec des taux techniques élevés ou encore la part des encours gérés en unités de compte dont les bénéfices futurs sont reconnus en fonds propres sous Solvabilité 2, sont autant de critères pouvant limiter l’avantage du cadre FRPS.

Ainsi, pour plusieurs opérateurs, les premières études d’opportunité se sont conclues par des gains modérés en fonds propres réglementaires pour un coût de mise en place important alors même que des coûts de même nature venaient d’être engagés pour se conformer à Solvabilité 2.

La Loi Pacte du 22 mai 2019 est venue parachever le dispositif FRPS en faisant converger les objectifs de la refonte des produits d’épargne retraite avec ceux de la réforme FRPS : une épargne retraite développée, de meilleures perspectives de rendement pour les assurés et leur protection accrue au travers d’engagements cantonnés.

Concrètement, la transposition de la Directive IORP 2 prise dans le cadre de la loi Pacte élargit le champ de compétence des FRPS à la retraite supplémentaire non professionnelle, intégrant les contrats de retraite de groupe à adhésion facultative tels que les PERP ou encore les nouveaux PER individuels.

(1) Fonds de retraite professionnelle pour le code des assurances, Institutions de retraite professionnelle (IRPS) pour le code de la sécurité sociale mutuelles et unions de retraite professionnelle supplémentaire (MRPS) pour le code de la mutualité.