Conclusion partielle : la protection sociale vertu oubliée de l’économie libérale

Extrait du livre d’Hervé Chapron et Michel Monier « 5 leçons pour penser le social au XXIe siècle » Page 184 à 187

Là est un des objectifs non-dits de la Protection Sociale : protéger pour, en quelque sorte, fidéliser une main-d’œuvre. Schmitt nous dirait : c’est là, la « bienveillance de la passion sociale »… motivée par une passion égoïste des entrepreneurs ! L’exemple le plus abouti étant, certainement, celui de l’Assurance Chômage. Avec le souci de maintenir proche de l’emploi les chômeurs, l’Assurance Chômage n’aurait-elle pas favoriser la précarité, celle qui se traduit par ces « allers-retours » entre emploi et chômage en permettant de cumuler une faible rémunération et une partie de son indemnisation.

Notre postmodernité, ne réside-t-elle pas dans notre aveuglement à ne pas voir ici une situation amorale, mais une saine assistance, une belle solidarité ? Notre postmodernité, ne situe-t-elle pas dans la non-dénonciation d’une insuffisance cohérente entre l’évolution économique et l’évolution sociale ?

Arrivés au point de l’affaiblissement du consensus social par la cause d’un « trop c’est trop » pour les uns et d’un « pas assez » pour les autres, nous sommes de toute évidence éloignés du point de convenance. L’euphorie de la destruction créatrice, le progrès, l’aspiration individuelle à la consommation de masse ont fait oublier que le capitalisme ne pouvait pas se survivre sans prendre en compte le social. On a perdu la maîtrise de soi, l’équilibre, la modération des passions est rompue.

Mais, si l’économie ne nous rappelle pas qu’elle est une science sociale et une science morale faut-il que ce soit Smith, encore lui, qui le fasse : « il y a des degrés d’absurdité et d’inconvenances dans la conduite du souverain (qui) autorisent la résistance des sujets ».

Avec « responsabilité sociale et démocratie : l’impératif d’équité est le conservatisme financier », le prix Nobel d’Économie 1998 « modernise » notre sujet en posant le débat du conflit résultant de la « tension entre les « responsabilités publiques » de la société, d’un côté, et la nécessité d’une certaine modération financière, de l’autre ».

D’où la légitimité du questionnement de la soutenabilité sociale des politiques publiques.

Pour Amartya Sen, il s’agit, avant de débattre, « d’envisager et juger de la valeur respective de ses préoccupations concurrentes » :

  • « Le conservatisme financier (…) en particulier sous la forme de fortes réductions du déficit budgétaire et de la dette publique » ;
  • « La responsabilité publique (…) donc on s’accorde à reconnaître l’importance et l’étendue de la responsabilité des sociétés modernes à l’égard de leur membres (surtout lorsqu’il s’agit de leurs citoyens les plus défavorisés) ».

Alors, les discours fortement empreints de préjugés doivent, aujourd’hui, faire place à un débat pour s’accorder, à nouveau, sur l’impératif qu’est la Protection Sociale. Pour retrouver la raison et installer ce débat, Il est utile de retrouver les principes du libéralisme pour réapprendre là les fondements de la Protection Sociale, pour faire comprendre aux uns, et faire accepter aux autres, qu’elle ne peut être financée que s’il y a création de valeur.

L’opposition doctrinaire au capitalisme d’une part, la critique de ce puits sans fond que serait la Protection Sociale d’autre part, ne sert qu’à occulter le débat.
Si l’argument du partage de la valeur créée n’est pas audible, celui du niveau de soutenabilité des prélèvements obligatoires doit pouvoir l’être davantage… et emporter avec lui la question conséquente du champ de l’intervention de l’État. S’il y a quelque chose qui ne fonctionne plus dans le capitalisme devenu néolibérale, il y a aussi quelque chose qui ne fonctionne plus dans l’État.

Ce Livre est véritablement d’actualité en ces temps de pandémie.
Jean-Hubert de Kersabiec
Président de P3S