GALEA / Rédacteur : Pierre Chaperon / 19 mars 2020

Dans le contexte actuel, il n’est pas inutile de commenter une bonne nouvelle

Actualité oblige, les résultats de l’Agirc-Arrco présentés à la presse jeudi dernier n’ont pas donné lieu aux commentaires habituels dans les médias. Par la force des choses, la question des retraites qui a tenu l’avant-scène ces derniers mois est mise entre parenthèses : l’annonce du Président de la République lundi de « suspendre » la réforme des retraites en est l’ultime confirmation.

C’est à la fois inévitable et dommage.
Dommage parce qu’avec les projets de mise en place d’un Système Universel de retraite, la situation financière d’un régime qui représente un quart des volumes financiers de la retraite en France aurait mérité, en temps normal, un suivi attentif. L’Agirc-Arrco constitue en effet un mode de gestion emblématique par le fait qu’il est assumé en complète autonomie par les Partenaires sociaux. On sait que le projet de système universel induisait un rôle prédominant des pouvoirs publics dans la gouvernance du futur régime, reléguant les Partenaires sociaux à un rôle d’observateurs plus que d’acteurs.

Quelles grandes tendances observées ?

Une bonne nouvelle : le retour à l’équilibre après une dizaine années de disette durant lesquelles le régime a souvent dû piocher dans les réserves constituées méticuleusement au cours des années.

Les cotisations excédent les prestations de près de 500 M€ (résultat technique).
En ajoutant les produits financiers, le résultat s’établit à 1,2 Md€ (résultat global).
En tant que régime en répartition, les dirigeants de l’Agirc-Arrco ont la prudence de communiquer davantage sur les résultats techniques, véritable cœur du régime par répartition, que sur les résultats incluant les produits financiers. On n’a pas besoin de souligner aujourd’hui la volatilité de ces placements, d’autant que l’allocation d’actifs de la réserve placée est assez offensive puisqu’elle comporte 25% d’actions environ. Le placement actions s’inscrit sur des horizons de long terme. A titre indicatif que le régime disposait avant la crise de près de 7 Mds de plus-values latentes qui ne pourront qu’être affectées par les secousses actuelles : c’est un moment difficile qui rappelle les heurts de la crise financière de 2008 qui ont finalement pu être surmontés par des années plus favorables au cours desquelles les réserves ont été progressivement reconstituées à la faveur, notamment, d’un contexte de marchés devenus durablement haussiers.

Il reste que les comptes de l’exercice 2019 font sans doute du régime Agirc-Arrco un cas à part parmi les grands Organismes Nationaux de Protection Sociale Nationale (ONPS). La remontée vers la ligne de flottaison s’est effectuée progressivement après une entrée en déficit intervenue dès la fin des années 2000, un point bas constaté en 2014, et une inversion progressive de la courbe permettant d’arriver à la situation constatée aujourd’hui.

C’est à la gouvernance paritaire, et à elle seule, que revient le mérite d’avoir su surmonter une situation adverse : crise économique structurelle, démographie… et d’avoir ainsi démontré son aptitude à gérer un régime de retraite qui suppose par nature de s’installer dans le temps long.

Des accords paritaires successifs difficiles et volontaristes ont permis de contrer l’impact de ces vents contraires. On ne peut négliger le fait que l’embellie économique a constitué un apport considérable à la situation d’équilibre du régime : les cotisations augmentent de 5% dont 3% au titre de la masse salariale. Elle a permis d’accélérer le redressement au regard des perspectives qui avaient été établies en leur temps. Là aussi, peu de régimes peuvent se targuer du fait de constater un résultat meilleur que le prévisionnel.
Ironie de l’histoire, c’est un régime paritaire de droit privé qui vient « contribuer positivement » aux déficits publics maastrichiens de l’Etat français…

Un nouveau défi à surmonter

Cette situation demeure fragile et comme tous les régimes par répartition, le régime Agirc-Arrco reste très dépendant de la situation de l’économie française, un régime en répartition étant en quelque sorte adossé à l’économie nationale. L’ampleur du « trou d’air » actuel ne manquera pas d’avoir des conséquences importantes -dont on ne peut aujourd’hui évaluer l’ampleur et dont les régimes de retraite ne sont qu’une composante.
Il reste que le régime Agirc-Arrco comme tous les autres grands Organismes Nationaux de Protection Sociale vont une nouvelle fois être mis à contribution comme amortisseur de la crise.

Pour la retraite complémentaire, cela se traduira par des mesures exceptionnelles :

Sans pouvoir préjuger de la suite, les Partenaires sociaux sont aujourd’hui aux côtés de l’Etat pour accompagner cette crise dans laquelle la trésorerie des régimes sera sous tension pour le paiement des allocations.

Et la suite ?

La question de la réforme n’est plus d’actualité pour les mois à venir après la décision incontournable de report de la réforme des retraites et de la conférence de l’équilibre et du financement. Il serait bien entendu aujourd’hui aussi hasardeux qu’indécent de spéculer sur l’avenir d’une réforme qui a connu tant de vicissitudes et généré autant de tensions.

Pour mémoire, la situation était en dernier lieu la suivante :
Les états de service des Partenaires sociaux dans la gestion de la retraite complémentaire ont pu expliquer que l’Etat, dans un schéma qui n’était pas imaginé initialement, ait souhaité confier aux Partenaires sociaux le soin de rechercher les voies et moyens pour que le futur système universel se présente dans des conditions d’équilibre à sa création.

On sait que la conférence de l’équilibre et du financement, au travail depuis un mois, devait rendre sa copie pour fin avril au plus tard. Dans la course aux 12 Mds qui se jouait, était aussi un enjeu institutionnel qui se décidait : quelle serait la place des Partenaires sociaux dans le futur régime ? Une « fumée blanche » n’aurait pu que plaider pour un rôle beaucoup plus actif des Partenaires sociaux dans le système nouveau. En confiant la lourde charge de l’animation des travaux à Jean-Jacques Marette, dont les convictions et le rôle dans l’éco-système paritaire sont connus de tous, c’est une forme d’appel du pied qui était adressé aux Partenaires sociaux avec l’idée que « ce que vous avez pu réussir dans l’Agirc-Arrco, vous pouvez le faire au plan national ».

Ces questions sont remises à plus tard, à l’issue d’une crise qui amènera probablement à reconsidérer de nombreux points tenant tant au calendrier de la réforme, qu’à son contenu (systémique, paramétrique ?), son ampleur, voire même à sa remise en cause.

Mais quoi qu’il arrive, la situation sera profondément modifiée pour le régime complémentaire. La grande mobilisation actuelle met très légitimement les pouvoirs publics en première ligne pour impulser les mesures qui s’imposent à l’ensemble des acteurs de la protection sociale et à la retraite complémentaire tout particulièrement.
Cette période exceptionnelle ne doit pas faire oublier que la loi organique a été votée et que les régimes seront intégrés dans un court terme dans les lois de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS). Cette inclusion conduira à mettre de fait la retraite complémentaire sous contrôle du Parlement.

Evolution des résultats Agirc-Arrco

 

Comptes agrégés Agirc-Arrco – exercice 2019

Comptes agrégés du domaine des opérations de retraite

 

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