Le 8 juin 2021 – Dans la tribune du Monde, Jean-Marie Spaeth a plaidé pour inscrire deux « valeurs-actions » dans la Constitution par voie de référendum, ce qui selon lui permettrait de « redonner à l’action collective la confiance perdu en sa force »

Qu’il s’agisse des partis politiques, de droite comme de gauche, ou des organisations syndicales et associatives, il y a aujourd’hui consensus. Consensus pour considérer que notre pays est fracturé et qu’il y a une défiance croissante de nos concitoyens à l’égard des responsables, des gouvernants et des institutions. Les Français auraient décidé de s’organiser en petits îlots distincts. A coup de « Il n’y a qu’à », « Il faut qu’on », peu de propositions, prospectives et réelles, émergent.
Les décisions des différents gouvernements et organisations, syndicales ou patronales, ont peu de prise sur la réalité et ne déclenchent pas plus de dynamiques sociales que d’enthousiasme. La remobilisation du pays autour des « valeurs actions » républicaines, humanistes et démocratiques est urgente !

Une valeur action est une ambition, un état d’esprit, une grille d’analyse pour les mesures proposées et les actes réalisés, qu’il s’agisse de ceux des partis politiques, élus ou acteurs sociaux. La période actuelle doit voir émerger deux valeurs actions comme ciment de la société : l’Intérêt Général et la Subsidiarité. Couramment, l’expression « intérêt général » désigne les intérêts, valeurs et objectifs partagés par l’ensemble des membres d’une société qui procure le bien-être. Une forme d’utilitarisme moderne qui recherche « le plus grand bonheur du plus grand nombre » selon la formule des deux philosophes britannique – Jérémy Bentham (1748-1832 et Joseph Priestley (1733-1804).

En France, l’intérêt général est une notion floue qui n’est pas un engagement constitutionnel. L’on entretient savamment une ambiguïté entre services publics, mission de service public et intérêt général. Le service public est un moyen, ce n’est pas une référence universelle. Lorsque l’un préconise par exemple de diminuer les prélèvements obligatoires, l’autre de limiter l’endettement à X % du PIB et le troisième de diminuer le nombre de fonctionnaires, la seule question qui vaille d’être posée demeure : en quoi ces mesures contribuent-elles à l’intérêt général ?

La recherche par les financiers de la rentabilité maximale du capital les a conduits à vampiriser l’économie de marché et à mettre les entreprises sous tutelle. En quoi la recherche d’un rendement à deux chiffres du capital contribue-t-elle à l’intérêt général ? Idem, lorsque l’on organise des grèves catégorielles minoritaires pour bloquer des services indispensables : là aussi, où est la dimension d’intérêt général qui peut les justifier?
Donner une définition claire, opérationnelle, ambitieuse, de l’intérêt général et l’inscrire dans la constitution, c’est donner une clé de lecture et d’analyse de toutes les décisions, publiques ou privées, ayant un impact sur le vivre ensemble. Cela touche plus particulièrement l’éducation, la sécurité, les domaines de l’économie et du social. L’intérêt général doit figurer dans notre constitution.

La deuxième valeur action qui doit trouver sa place dans notre constitution est la subsidiarité. La France n’est et ne sera pas une république fédérale. En dépit des réformes de décentralisation et des velléités de déconcentration à géométrie variable, les pratiques et mentalités, dans la prise de décision ou le déploiement des actions ont peu changé.
Des responsables locaux à tous les acteurs de la société civile la frustration demeure. Tous demandent plus de pouvoir de décisions et d’actions, moins de bureaucratie tatillonne.
En même temps, force est de constater qu’il y a de plus en plus de demandes de recours à l’État, souvent légitimes au regard des risques juridiques, du manque de moyens ou de compétences. Les citoyens, eux, veulent plus de proximité et de compréhension de leurs réalités quotidiennes. Ils assignent à l’État central, et bien sûr au Président de la République en exercice, la responsabilité de trouver des solutions et de prendre des décisions.

Une Volonté politique sans faille

Plus préoccupant encore, toutes les décisions ou mesures différenciées ayant pour but avoué de prendre en compte les spécificités territoriales ou sociales sont immédiatement dénoncées comme une atteinte grave à l’égalité. Tout se passe comme si au fil des années, par facilité ou par paresse intellectuelle, l’égalité était devenue synonyme d’uniformité. La subsidiarité consiste, en matière de politique sociale, économique et administrative, à donner la responsabilité à l’entité la plus compétente et au niveau le plus proche de ceux qui sont concernés. Il s’agit non seulement de prendre en compte des différences, mais également de rendre effectives et opérationnelles les décisions prises.
Créer les conditions menant à la prise de responsabilité et l’action du plus grand nombre de citoyens et d’acteurs de la société est la source d’une triple efficacité : économique, sociale et environnementale.
Concevoir la subsidiarité, mais plus encore l’appliquer dans chaque prise de décision, c’est redonner non seulement confiance à nos concitoyens en la compréhension de leurs intérêts, mais également à nos institutions en leur capacité à agir, bref, c’est redonner à l’action collective la confiance perdue en sa force. Débattre d’une définition de l’intérêt général et de la subsidiarité, l’inscrire par voie de référendum dans notre constitution, ne sera en aucun cas un chemin paisible tant se sont cristallisées, de tous côtés, les attentes diverses et les déviances.

Une légitimité ainsi qu’une volonté politique sans faille seront nécessaires pour mener à bien un tel chantier. Les prochaines échéances électorales, présidentielles et législatives, sont une occasion qu’il ne faut pas gâcher. Il faudra une méthode de débat qui , vise à mobiliser non seulement les élus des territoires, tous les corps intermédiaires et la société civile dans sa diversité. Donner une définition à la valeur de l’intérêt général et au concept de subsidiarité, afin de les inscrire sur le mode référendaire dans la constitution, est le moyen le plus efficace pour réunifier le pays, lui redonner confiance et le doter d’une ambition collective.

Jean-Marie Spaeth
Ancien Président de la CNAM et de la CNAV
Administrateur de l’Association P3S