12 mai 2021, par Fabien Soyez

Alors que l’on parle régulièrement de la bienveillance, le philosophe Emmanuel Jaffelin, auteur d’un « Éloge de la gentillesse en entreprise », invite les managers à aller plus loin, en faisant preuve de gentillesse, sans s’inscrire dans une relation hiérarchique. Jusqu’à devenir des “managers gentilshommes”, à l’écoute de leurs salariés, au service de leur épanouissement, mais aussi au profit de l’entreprise et de la société toute entière.

Quelle différence faites-vous entre la gentillesse et la bienveillance ?
L’entreprise préfère en général la bienveillance à la gentillesse. Pour un dirigeant, « gentillesse » rime souvent avec faiblesse. Tandis que la « bienveillance » lui permet de rester paternaliste et de « veiller au grain », car elle suppose une relation hiérarchique.
Elle va de haut en bas : un manager peut être bienveillant avec son collaborateur, mais l’inverse est plus difficile.

Alors que les deux mêmes personnes peuvent tout à fait être gentilles l’une envers l’autre. Si la bienveillance suppose une hiérarchie, la gentillesse est plus égalitaire, car elle sous-tend une réciprocité.

Le philosophe considère la bienveillance et la gentillesse comme des formes d’empathie, au même titre que le respect et la sollicitude. Le respect est nécessaire tant pour le manager que pour le salarié. Mais il a moins de force que la gentillesse : il s’agit d’une empathie froide, qui ne sous-entend pas l’entraide. Tandis que la sollicitude constitue une empathie brûlante, visant à vouloir le bonheur des autres malgré eux. Sur ce plan, la gentillesse est là aussi plus forte, car plus intelligente : la personne gentille est à l’écoute de l’autre, mais il ne s’agit pas de l’aider contre son gré.

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Pourquoi les managers gagneraient-ils, selon vous, à être « gentils », ou plutôt à devenir des « Gentilshommes » ?
La gentillesse est une forme d’intelligence émotionnelle qui suppose avant tout d’être à l’écoute, et non d’occuper une fonction particulière, ou une position de supériorité. Mais cette vertu est discréditée. Dans notre société post-moderne, on a fini par considérer la gentillesse comme un mélange de naïveté et de mièvrerie. Bien souvent, à cause de cette idée, les managers n’osent pas être gentils. Certains pensent aussi à tort qu’ils doivent se montrer inflexibles ; alors que leurs collaborateurs attendent avant tout d’eux empathie et compréhension.

Les managers peuvent être gentils sans avoir l’air faibles. La gentillesse ne signifie pas être laxiste, ni idiot. Ceux qui la pratiquent restent réalistes. Ils savent dire non quand il le faut. Ils ne disent pas oui à tout. On peut même considérer la gentillesse comme une force ; qui permet de s’ouvrir, de se débarrasser de son égo afin de construire une vraie relation avec autrui. En pratiquant la bienveillance au travail, les managers gagnent à la fois en humanité et en crédibilité. Ils développent leur intelligence managériale en tissant des liens avec leurs salariés, mais dans l’intérêt de l’entreprise et non dans un pur altruisme. De leur côté, les collaborateurs, qui se sentent écoutés, leur font davantage confiance. Ce qui les rend ensuite plus engagés et efficaces. Plus on comprend ses salariés, plus on les rend dynamiques, et plus l’entreprise est performante.

Le manager a tout intérêt à être gentil pour ses salariés, pour son entreprise, mais aussi pour la société dans son ensemble. Car la bonne ambiance et l’empathie qu’il crée dans son équipe se propagent ensuite à l’extérieur : les salariés l’exportent autour d’eux. On peut considérer le manager gentil comme un « nouveau gentleman » qui permet à son entreprise et à ses membres de grandir et de s’épanouir. Jusqu’à contribuer au bien-être de la société elle-même.

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Un manager peut-il se « former » à la gentillesse ?
Oui, mais celui qui s’y forme doit le faire parce qu’il le veut réellement. Faire preuve de gentillesse n’est pas si difficile : il suffit d’apprendre à être à l’écoute de ses salariés, sans se prendre pour un psychologue. Le simple fait de sortir de son autoritarisme permet souvent de débloquer les choses. En prenant le risque de cesser de vivre uniquement à travers son égo, un manager se découvre un peu plus humain.
Il constate aussi qu’il a gagné de l’efficacité et de la productivité. Qu’il a fait gagner à l’entreprise quelque chose, en faisant gagner quelque chose à ses collaborateurs. En étant positif avec les autres, il reçoit même bien souvent, en retour, du positif de leur part ; des attentions auxquelles il ne s’attend pas forcément.

Mais la balle est aussi dans le camp des entreprises, qui doivent proposer à leurs managers de se former à la gentillesse pour autre chose que pour se donner bonne conscience.
Ce qui pourrait être décisif pour un réel basculement vers un management gentilhomme, c’est le passage d’un modèle entrepreneurial paternaliste et vertical, à une organisation plus horizontale.
Une entreprise qui considérerait que la gentillesse ne risque pas de l’affaiblir, tendrait à montrer qu’elle peut au contraire être un lieu où l’on peut être heureux. Tout en restaurant, en son sein, la notion d’humanité.