la protection sociale : un investissement social ou la dépense « d’un pognon de dingue » ?

À l’occasion de la publication du livre « Penser le social : 5 nouvelles leçons », Michel Monier et Hervé Chaperon respectivement Anciens Directeurs Généraux adjoints de l’Unedic et de Pôle emploi, répondent, dans le cadre d’une interview croisée, aux questions du CRAPS !

Les réponses très claire qui ont été apportées, aux salariés et aux entreprises pendants la crise sanitaire, ainsi qu’aux conséquences du confinement, ont très nettement démontrer que la Protection sociale n’était pas simple une ligne budgétaire, mais beaucoup plus !

POURQUOI CES 5 NOUVELLES LEÇONS ?

Michel Monier – Les « 5 leçons pour penser le social au XXIe siècle », que nous écrivions avant la crise sanitaire, faisaient un constat : celui de réformes pas à pas des divers dispositifs de la Protection sociale, chacune guidée par le seul objectif de leur soutenabilité budgétaire sans qu’elles donnent à voir un projet global qui soit adapté aux évolutions de l’économie, du marché du travail, de l’allongement de la vie. Les réponses apportées à la crise sanitaire, aux conséquences du confinement, ont fait revoir cette compréhension simplement budgétaire de la Protection sociale !

Hervé Chapron – Pour autant, si la crise sanitaire a érigé la Protection sociale au rang de Défense nationale après un « social bashing » de plus de trente ans, elle ne peut pas être une assistance sociale sous la seule gouvernance d’un État, gérée par une Administration, ignorante de la démocratie sociale. Un danger guette, le retour du dogme de la soutenabilité budgétaire et le « désir d’assistance universelle » qui saperont inéluctablement l’idée même de Protection sociale qui perdrait alors, définitivement, tout lien avec le travail et l’emploi. La crise a donc imposé un débat, celui d’un choix de société. Ces 5 nouvelles leçons en posent les termes.

LA PROTECTION SOCIALE : POGNON DE DINGUE OU INVESTISSEMENT SOCIAL ?

H.C. – Pognon de dingue peut-être, investissement social sûrement ! La Protection sociale représentait 33 % du PIB avant la crise sanitaire. C’est énorme et peu. Pour autant la pauvreté ne cesse de croître, les structures de la Protection sociale restent fragiles (hôpital, politiques de l’emploi, dépendance). Il convient de renverser les termes de la question : en investissant dans la Protection sociale, c’est-à-dire en mesurant en même temps son efficacité, on évitera un pognon de dingue !

M.M. – Ainsi, les conséquences de la crise sanitaire doivent faire repenser la Protection sociale ! Non pas parce que la solution est de dépenser toujours plus, mais parce qu’elle doit conduire à orienter les dépenses de Protection sociale vers davantage d’utilité sociale. Des inégalités flagrantes ont été mise au jour par la crise, inégalités auxquelles les dispositifs actuels ne répondent pas. À ces inégalités s’ajoutent des enjeux nouveaux qui sont ignorés par le système actuel. Le « quoi qu’il en coûte » devrait conduire au sortir de la crise à s’interroger sur ce que doivent être les dépenses d’investissement social. Le « quoi qu’il en coûte » doit inviter à penser le social…

LA DETTE ATTEINT DESORMAIS 120 % DU PIB. NE DICTERA-T-ELLE PAS DESORMAIS TOUTES NOS ACTIONS ?

M.M. – Oui, 120 % de taux d’endettement ! Il est remarquable que dans le débat sur la dette, que l’on pourrait ne pas rembourser, ce soient les 20 % résultant de cette crise qui soient mis au premier rang. C’est oublier un peu vite que si les 120 % sont atteints, c’est qu’avant la crise nous étions déjà à … 100 % ! Et ce sont ces 100 % le problème.
Comment est-il possible qu’avec un taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés de l’OCDE et ce niveau d’endettement, il y ait autant d’entreprises fragiles, 9 millions de pauvres et un taux de chômage parmi les plus élevés ? C’est ce que nous interrogions dans les premières « 5 leçons » et la nécessaire mobilisation face à la crise de tout l’arsenal de la Protection sociale, pour les individus et pour les entreprises, n’était-elle pas la démonstration que toutes les politiques d’aides, subventions et redistribution ont été sans effet ?

H.C. – La question de son remboursement ou non n’a pas de sens puisqu’une dette par définition se rembourse. La question est désormais de savoir profiter de la pression qu’elle apporte sur les finances publiques pour rationnaliser nos choix, pour réduire le périmètre d’intervention de l’État, pour réfléchir au labyrinthe des allégements fiscaux et charges exceptionnelles et leur interaction. En un mot pour repenser à la fois l’action publique, ses outils et les évaluer régulièrement.

LA CRISE A RENDU SES LETTRES DE NOBLESSE A L’ÉTAT-PROVIDENCE. LA SOLUTION NE SERAIT-ELLE PAS LE « TOUT ÉTAT » ?

H.C. – La crise sanitaire a surtout démontré l’incapacité pour l’État à devenir agile et réactif. Tant en matière d’emploi que de santé, la crise a démontré concrètement que la centralisation jacobine est désormais obsolète en termes de gouvernance. C’est au niveau des Régions qu’il convient de définir les politiques en tenant compte des spécificités locales.

M.M. – Les politiques publiques sont trop souvent des réponses de court terme, des réactions qui sont comme un « sparadrap » sur des conséquences sans traiter les causes. Alors, oui, dès mars 2020 il a fallu sortir tous les rouleaux de sparadrap disponibles ! L’action de l’État a été défaillante avant la crise, depuis des décennies. Nous disons que les réflexes d’une administration étatique, centralisée en est une des causes. La leçon à tirer de cette crise devrait être celle de la réforme de l’action publique sans laquelle il ne sera possible de réinventer un modèle social.

QUELS SONT SELON VOUS LES RISQUES ENCOURUS PAR NOTRE SYSTEME ACTUEL DE PROTECTION SOCIALE ?

M.M. – Le risque est de continuer des réformes « sociales » sans réformer l’action publique, alors que ce ne serait jamais le moment de réformer l’État ! Répondre à l’aggravation de la pauvreté doit se faire en repensant les modalités de l’action de l’État. Une allocation de ressources aux étudiants sous la forme de prêts, de longue durée à taux « 0 » et non pas d’un « revenu de base » par exemple. Affecter les aides à l’emploi à l’individu et non pas à l’entreprise. Sortir de la logique d’une Protection sociale évoluant à bas bruit vers l’assistance pour éviter « l’État Pourboire » qui s’estimerait quitte avec le revenu universel. « Penser le social » doit faire poser la question de la responsabilité de l’État, des entreprises, des individus.

H.C. – Le risque majeur est la poursuite d’un mouvement apparu à petits bruits dès la fin des Trente Glorieuses et qui n’a cessé de se fortifier pour devenir prégnant. C’est celui d’une confusion entre assurance, solidarité et assistance qui a rendu quasiment illisible l’actuel système de Protection sociale. Il faut refonder ce système sur la valeur travail, pour éviter un « État Pourboire » dont le revenu universel serait l’archétype.